Sur la presqu’île de Grenoble, la deeptech fait rayonner la recherche et l'entrepreneuriat français

Au cœur de la ville de Grenoble trône un écosystème unique de startups industrielles, de scientifiques et ingénieurs, formant des fleurons de la deeptech d’envergure mondiale. En juin 2022, plusieurs entreprises se sont réunies pour évoquer les défis que doivent relever ces industries et leur place à l’international lors d’un événement organisé par Bpifrance.

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Grenoble

« Ici, nous sommes aux Champs Elysées de la recherche ». Les dizaines d’entrepreneurs grenoblois présents lors de cet événement Pop up international échangent un sourire, sachant très bien de quoi Peter Hoghoj, CEO de Xenocs, veut parler. A l’instar de cette entreprise – qui accueille l’événement dans ses locaux grenoblois – beaucoup se sont installés ici pour l’émulation de sciences et d’innovation qui y règne. Elue Capitale verte de l’Europe en 2022, au cœur des Alpes et entre l’Italie, le Nord et le Sud de la France, Grenoble représente un carrefour bouillonnant de matière grise. En 2004 déjà, Time Magazine a fait l’éloge de cette capitale secrète de technologies. Une récompense bien méritée pour la ville, alors qu’elle continue aujourd’hui d’asseoir sa position internationale en termes d’innovations deeptech.

De la houille blanche au GIANT : un terrain fertile pour l’innovation

La presqu’île, au confluent de l’Isère et du Drac, réunit une concentration inédite de scientifiques et d’ingénieurs. Cet écosystème, où évolue le polygone scientifique de Grenoble, apparaît d’abord avec l’exploitation de la houille blanche, le nom donné à l’énergie hydroélectrique produite lors de la fonte des neiges. Elle entraine avec elle les turbines requises pour produire cette électricité, puis la mécanique et l’hydraulique qui lui sont liées, l’électrochimie et, avec elles, les ingénieurs qui les inventent et les développent. Les établissements qui formeront les prochains experts commencent eux aussi à fleurir. « Ce sont des figures comme Aristide Bergès ou Louis Néel qui sont à l'origine de ces écoles », raconte Orphée Cugat, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).  Cette institution s’y est installée après la Seconde Guerre mondiale, vite rejoint par de grands organismes comme le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), des laboratoires, universités et autres écoles d’ingénieurs.

Louis Néel est aujourd’hui reconnu comme le père fondateur de ce campus unique, et initie dès le départ de relations très étroites avec les entreprises : « Il travaillait lui-même sur le magnétisme des navires et des sous-marins en collaboration avec les constructeurs, travaux qui se poursuivent encore aujourd’hui avec Naval Group, un fleuron de l’industrie française », complète Clément Aubert, responsable du service partenariat et valorisation de la délégation Alpes du CNRS.  En 2008, ces différents partenaires de recherche, d’enseignement et d’innovation créent GIANT, pour Grenoble Innovation for Advanced New Technologies. Ce campus d’envergure mondiale place Grenoble dans le top 5 des villes où l’on compte le plus de dépôt de brevets en 2020, et comme seule ville française dans le top 15. Autre palmarès notable : depuis sa création en 2011, la médaille de l’innovation du CNRS est déjà revenue à 5 Grenoblois, sur un total de 44 lauréats.

Ce vivier de scientifiques et d’ingénieurs continue aujourd'hui d’attirer entreprises et startups industrielles pour perpétuer la dynamique enclenchée par Louis Néel. Nombre d’entre elles viennent d’ailleurs chercher les talents à la source. Xenocs, qui avait déménagé ses locaux à Sassenage, aux abords de Grenoble, est vite revenu sur cette décision. « Nous avons cherché à revenir sur la presqu’île pour être en lien avec cet écosystème. Être au milieu de tout ça est aussi important pour les clients que pour le recrutement des talents », raisonne Frédéric Bossan, son directeur général. Des entreprises de haut-rang comme STMicroelectronics ou Schneider Electric, choisissent elles-aussi d’installer leur centre de R&D sur la presqu’île.

Une collaboration historique entre acteurs de la deeptech

Avec une présence historique des entreprises sur le polygone, les startups se sont naturellement fait une place au cours des années 2000. « Aujourd’hui, de nombreuses startups sont hébergées sur la presqu’île au sein des organismes de recherches, des entreprises, des banques, … », affirme le responsable du service partenariat et valorisation de la délégation Alpes du CNRS. « Le CEA et le CNRS sont généralement séparés, ici on est voisin de palier, c’est une double force en termes d’échanges et de collaboration. Je crois qu'il n'y a que Paris-Saclay et Grenoble qui présentent cette spécificité », poursuit Clément Aubert. Cette proximité entre chercheurs et les applications potentielles du fruit de leur recherche constituent un combo gagnant, « un véritable tremplin » comme le décrit Orphée Cugat depuis ses locaux à MINATEC. « Ici, entre scientifiques, parfois même à la machine à café, on trouve de nouvelles applications. C'est cette densité qui permet de voir émerger des nouvelles innovations ».

Grenoble doit à son écosystème unique sa capacité à attirer les talents, avec un élément de fidélisation : son environnement, idéalement situé et son cadre de vie : « C’est une ville très attractive pour les jeunes cadres, très internationale, très cosmopolite. Les gens sont généralement très vite à l’aise à Grenoble, on y rencontre de nombreux amateurs de sports de montagne », atteste Frédéric Bossan de Xenocs. Ce terreau fertile pour la deeptech fait d’autant plus d’émules qu’il y fleurit un grand nombre d’instruments de mesures et de plateformes technologiques permettant des travaux en recherche fondamentale. L’Institut Laue-Langevin (ILL), organisme d’origine franco-allemand, est la source de neutrons la plus importante du monde. L’Installation Européenne de Rayonnement Synchrotron (ERSF) représente la plus intense des sources de lumière synchrotron à l’échelle mondiale et permet l'exploration des matériaux et de la matière vivante à l’aide d’intenses faisceaux de rayons X. Clinatec allie avancées technologiques et recherche médicale pour aider les patients souffrant de maladies dégénératives ou de tétraplégie. L’innovation grenobloise se distingue ainsi dans trois thématiques clefs : la microélectronique et nanotech, la greentech et la medtech.

Quand l’innovation française à l’international devient un enjeu de souveraineté économique

Ce sont autant d’instituts qui bénéficient d’un rayonnement international et attirent physiciens, médecins et autres scientifiques du monde entier. Parmi les expériences effectuées au sein du Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses du CNRS (LNCMI), par exemple, les deux tiers sont à l’initiative de chercheurs étrangers. Jusqu’à 8 000 scientifiques étrangers poussent les portes du synchrotron de Grenoble chaque année. Une telle concentration d’étudiants et de scientifiques venus de partout donne forcément à ce hub deeptech une portée internationale : « Lorsque les scientifiques du campus GIANT interviennent dans des colloques en Asie, le public connaît Grenoble, ce qui s’y passe. Ils ont conscience de cette émulsion sur la recherche et l’industrie de haute technologie et que l’on est en train d’y créer un environnement très fertile. C’est un exemple souvent cité en Chine ou au Japon », s’enthousiasme Peter Hoghoj, CEO de Xenocs. La plupart des startups deeptech grenobloises évoluent ainsi sur un terrain de jeu international : Grapheal et ses biocapteurs numériques ont remporté cette année le prix du « Best in Innovation » au Consumer Electronics Show (CES), le plus important salon dédié à l’innovation électronique au monde.

Derrière ces entreprises, les institutions régionales, nationales, et même européennes veillent : la pointure de ces innovations de rupture a en effet tendance à faire tourner les têtes hors-frontières. Pour récupérer ces technologies, beaucoup d’investisseurs sont prêts à mettre la main au portefeuille. Des institutions comme Bpifrance ou les Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) financent alors les projets des startups deeptech grenobloises et soutiennent leurs levées de fonds afin de conserver une souveraineté économique sur l’innovation française. Des financements qui représentent là aussi un facteur d’attractivité pour les scientifiques : « Thibault est venu à Grenoble pour le polygone scientifique, pour trouver des projets et des moyens qui sont déployés ici et que l'on ne trouve pas ailleurs », témoigne Orphée Cugat en pointant son collègue qui vient justement de rentrer dans son bureau pendant l’interview. « Sur certaines thématiques comme les biotechnologies, les enveloppes ne sont pas assez élevées de mon point de vue. La souveraineté économique passe aussi par l’investissement. Or, on voit arriver beaucoup d'offres de financements et d'investissements étrangers à des niveaux bien supérieurs à ceux que l’on peut voir en France », déplore Clément Aubert. Si les moyens se font encore désirer, ce soutien sur des enjeux stratégiques s’est vu renforcé récemment avec le Plan Startups et PME Industrielles, avec 2,3 milliards d’euros de dispositifs de financement qui doivent soutenir l’émergence d’entreprises et de startups hautement technologiques.