Olivier Lluansi : « Je préfère parler de renaissance industrielle plutôt que de réindustrialisation »

Associé au sein du cabinet PwC, Olivier Lluansi a co-écrit, avec Anaïs Voy-Gillis, « Vers la renaissance industrielle », un ouvrage dans lequel il donne des pistes pour réussir la réindustrialisation de la France.

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Olivier Lluansi

Ancien conseiller Industrie à la Présidence de la République, mais également ancien délégué aux Territoires d’industrie auprès du ministre de l’Économie et des finances, Olivier Lluansi est persuadé que le point de départ d’une réindustrialisation passe par l’identification des chaînons sur lesquels notre pays possède un avantage compétitif. Pour la première fois, il se livre à Big média.
 
Big Média : Quelles solutions préconisez-vous pour réindustrialiser la France ? 
 
Olivier Lluansi : En se concentrant sur dix technologies clés, pour faire naître les leaders de l’innovation fondamentale, France 2030 exprime une partie plutôt métropolitaine du potentiel de réindustrialisation française. Selon mes calculs, cela permettra de faire passer la part manufacturière du PIB français de 10 à 12 ou 13 %. La moyenne européenne s’élevant à 16 %, ce qui est une référence mais pas un objectif. Sur la base des pilotes « Territoires d’industrie », il faudrait également aller réveiller les nombreuses PME et PMI au cœur des territoires dans une approche décentralisée et les accompagner chacune spécifiquement dans leurs projets de développement. Avec Guillaume Basset, lui aussi un ancien délégué aux Territoires d’industrie, nous avons quantifié ce potentiel : 15 000 projets, 450 000 emplois sur 10 à 15 ans. Cela permettrait de faire la deuxième moitié du chemin vers la moyenne européenne !

« Il faut former dans le territoire, pour le territoire »

 
BM : Pour vous, le redéveloppement de l’industrie se doit de lever trois freins opérationnels : la formation, le foncier et le financement (« les 3F ») 
 
OL : Les Français sont peu mobiles. Aussi je suis convaincu qu’il faut former dans le territoire, pour le territoire. C’est la raison pour laquelle les écoles de production connaissent un grand succès, avec des CDI sur place à la clé. Leurs modalités doivent inspirer d’autres dispositifs. Il y a également plusieurs pistes pour libérer du foncier. La France a un patrimoine constitué de 90 000 à 100 000 hectares de friches industrielles. J’ai émis l’idée de réserver 20 à 30 % de ce potentiel pour de futures activités industrielles et d’organiser un système de compensation au niveau national pour que les régions moins dotées de friches ne soient pas pénalisées. Autre piste parmi les plus prometteuses : la densification des processus industriels, qui consiste notamment à produire dans l’automobile deux fois plus de voitures sur deux fois moins de mètres carrés. On pourrait donc libérer des m² en l’espace d’une ou deux décennies pour créer des espaces mutualisés ou des zones d’activité privée où cohabiteraient plusieurs entreprises. Côté financement, il faudra capter et orienter l’épargne privée des Français vers l’outil productif. L’idée serait de renforcer France 2030 et d’imaginer, pour les territoires, un nouveau plan financé partiellement de cette manière, intégré ou non dans France 2030. 
 
BM : Comment rendre l’industrie plus attractive, notamment auprès des jeunes ?  
 
OL : La première chose à faire est de combler le fossé entre la perception que le grand public a de l’industrie et la réalité. Nous ne le ferons, à mon avis, qu’en ouvrant les usines aux citoyens, à travers des journées portes ouvertes destinées au voisinage : un moyen pour que les chefs d’entreprises et les employés transmettent leur passion. En ce qui concerne la jeune génération, rien de tel qu’un apprenti de 22 ans pour s’adresser à des jeunes de 14 ou 16 ans. L’industrie est inscrite dans la réalité, il faut s’affranchir des grands discours et donner la priorité aux retours d’expérience en évitant le fossé de communication intergénérationnel.
 
BM : La jeune génération est en quête de sens. L’industrie peut lui offrir cette opportunité ? 
 
OL : L’industrie n’est pas un ensemble d’usines, mais de savoirs et de savoir-faire pour transformer la matière, au service d’un projet de société. Il s’agit aujourd’hui de remobiliser ce génie industriel, non plus pour une société de consommation de masse, dont le modèle est désormais contraire aux limites planétaires, mais pour créer un outil de production pour une société sobre, circulaire et décarbonée. C’est pourquoi je préfère parler de renaissance industrielle plutôt que de réindustrialisation. Derrière cette renaissance, nous devons réussir à véhiculer du sens, qu’il faut utiliser comme levier pour changer les mentalités. Nous devons adapter notre industrie à ce nouveau projet collectif de changement de société. Reste encore à le définir plus finement en combinant quatre valeurs clés : la sécurité de nos approvisionnements, la cohésion sociale et territoriale, l’environnement et la souveraineté.