Yuka à la conquête de l’Amérique

Lancée en 2017 dans l’Hexagone, Yuka permet aux consommateurs de scanner les produits alimentaires et cosmétiques afin d’en connaître leur composition. Depuis un an et demi, l’application aux 40 millions d’utilisateurs connaît une forte croissance aux États-Unis. L’occasion pour ses trois fondateurs de tenter l’aventure outre-Atlantique en septembre prochain.

  • 07 juin 2023
  • Temps de lecture: 5 min
Julie Chapon, co-fondatrice de l'application Yuka
© Yuka

Chaque mois, environ 500 000 Américains téléchargent Yuka sur leur smartphone, ce qui en fait le pays numéro un en termes d’acquisition. C’est dans cette optique que ses trois fondateurs ont décidé d’ouvrir des bureaux à New York afin d’accélérer la croissance de l’application sur le marché. Raison d’être, fonctionnalités à venir et nouvelle vie américaine, Big média a pu s’entretenir avec Julie Chapon, co-fondatrice de l’application. 
 
Big média : Dans quelques semaines, vous poserez vos valises à New York pour un an. Quel est votre plan ? 
Julie Chapon : Nous allons nous implanter aux Etats-Unis pour nous faire connaître davantage auprès des médias américains. C’est un peu compliqué de le faire depuis la France. Ensuite, l’objectif est de monter une équipe à New York, de la rendre opérationnelle et autonome. Le jour où ce sera le cas, nous pourrons revenir à Paris. Nous sommes présents dans douze pays, mais les Etats-Unis sont, pour le moment, les seuls à posséder une filiale Yuka. 
 
BM : Quelles sont les différences notables entre les marchés européen et américain pour Yuka ? 
JC : Historiquement, en Europe, Yuka est utilisé pour vérifier la composition des produits alimentaires, qui représentent les trois quarts des scans. Le dernier quart est réservé à la cosmétique. Aux Etats-Unis, c’est totalement l’inverse ! Les trois quarts des produits scannés sont des produits d’hygiène ou des cosmétiques. Les Américains sont également plus enclins à payer pour la version premium de notre application. C’est dans leur culture, ils sont habitués à payer pour tout et aiment avoir accès au full package. C’est également primordial pour notre business model puisque nous fonctionnons sans publicité par exemple. 
 
BM : Outre les États-Unis, quels sont les marchés les plus porteurs pour Yuka ? 
JC : Le fait d’être de plus en plus actif aux Etats-Unis a créé un effet domino avec le Canada et l’Australie également. Nos communications en anglais se répercutent un peu dans l’ensemble des pays anglophones. Sinon les marchés les plus porteurs restent la France, l’Italie et l’Espagne. 
 

« Garder notre indépendance pour offrir une belle expérience aux utilisateurs »


BM : Il y a des marchés sur lesquels vous aimeriez vous implanter dans un futur proche ? 
JC : Pas pour le moment, nous préférons nous focaliser à fond sur les Etats-Unis. Il fut un temps où notre plan était de croître à l’international et de nous implanter dans le plus de pays possible. Mais aujourd’hui, on se dit qu’il y a tellement à faire outre-Atlantique que nous allons être focalisé sur les Etats-Unis à 100 % pendant quelques temps. 
 
BM : L’indépendance, c’est toujours le maître mot de votre startup ? 
JC : Bien sûr ! Et nous n’allons pas déroger à la règle avec notre arrivée aux Etats-Unis. Nous ne recevons aucun argent des marques et des industriels et ça ne bougera jamais. Aucune publicité n’est présente sur notre site ou sur notre application. Aussi bien pour garder notre indépendance que pour offrir une belle expérience aux utilisateurs. Enfin, nous ne revendons pas les datas. Nous en collectons énormément puisque 40 millions de personnes scannent des produits, mais tout ceci reste strictement confidentiel.  
 
BM : Vous aviez levé 800 000 euros en 2018 pour vous développer. Racontez-nous comment vous avez réussi à conserver cette indépendance vis-à-vis des investisseurs ? 
JC : Nous avons effectivement levé des fonds en juin 2018 mais nous n’avons pas créé de board (organe de direction incluant des investisseurs, NDLR) à la suite de cette opération. Les investisseurs n’ont donc aucun pouvoir décisionnel. La stratégie reste entre nos mains avec mes deux associés. Au moment de cette levée de fonds, nous avons été francs avec les différents partenaires en leur expliquant que s’ils tentaient l’aventure à nos côtés, ça serait à nos conditions : un rapport synthétique chaque mois et aucune clause de conditions de sortie (qui permet aux investisseurs de changer les équipes au bout de 5 ans, NDLR). 
 

« Nous sortons une nouvelle fonctionnalité de classement dans quelques semaines »

 
BM : Vous avez lancé, en 2021, une plateforme pour que les industriels puissent simuler leur note sur Yuka. Comment ça marche ? 
JC : De nombreux industriels intègrent désormais Yuka en amont de la conception ou de la reformulation de leurs produits, en simulant les notes qu’ils auront sur l’application. Au début de l’aventure, on modélisait nous-mêmes leurs notes, mais c’est vite devenu chronophage. Aujourd’hui, un simulateur est disponible, ce qui leur permet d’être autonomes. 
 
BM : Y’a-t-il des innovations ou des nouveautés à venir sur Yuka dans les prochains mois ? 
JC : L’application a assez peu bougé depuis 2017, mais nous sortons dans quelques semaines une nouvelle fonctionnalité. Elle prendra la forme d’une option de classement de produits par catégorie, qui nous a beaucoup été demandée, va être ajoutée en lieu en place de “synthèse”. Les utilisateurs pourront retrouver les produits les mieux notés de différentes catégories alimentaires ou cosmétiques, par exemple le top des meilleurs shampoings. L’objectif, en plus de satisfaire nos utilisateurs, est de générer de la croissance et du bouche-à-oreille puisque les trois ou quatre premières catégories seront accessibles, mais le reste sera grisé. Pour débloquer cette fonctionnalité, il suffira de partager l’application à un ami. 
 

« Les industriels ne peuvent plus se cacher derrière leur marketing »

 
BM : Déconstruire le marketing des grandes marques de l’agroalimentaire, c’est la raison d’être de Yuka ? 
JC : C’est notre mission depuis le début puisque les consommateurs n’ont pas le temps d’aller décrypter toutes les étiquettes des produits. Et même si c’était le cas, il faudrait quand même sacrément s’y connaître. Les marques jouent énormément avec leurs packagings pour parfois faire croire qu’un produit est bon pour la santé alors qu’il n’en est rien. Avec notre principe de scan, les industriels ne peuvent plus se cacher derrière leur marketing
 
BM : Question RH, comment vous voyez Yuka dans 10 ans ? 
JC : Dans 20 ou 30 ans, j’espère que Yuka n’existera plus, pour le bien de tous ! Dans 10 ans ça me paraît un peu compliqué, mais j’aimerais du moins que nous soyons un outil incontournable qui oblige les industriels à faire attention à la composition de leurs produits. Nous avons réussi à peser dans le débat en France et nous souhaitons en faire de même dans des pays comme les Etats-Unis.

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web