Transport : concilier croissance économique et réponse aux enjeux climatiques, l’exemple de Jacky Perrenot

Créé en 1945, le groupe Jacky Perrenot s’est imposé ces dernières années comme le leader français du transport. A la tête de l’entreprise depuis 2007, Philippe Givone s’emploie à répondre aux enjeux climatiques sans sacrifier la croissance de l’entreprise. Interview. 
 

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Philippe-Givone, le dirigeant de Jacky Perrenot
Philippe Givone, président de Jacky Perrenot

Pionnier du transport vert, Jacky Perrenot connait depuis plusieurs années une croissance exponentielle. A la tête du groupe depuis 15 ans, Philippe Givone a accéléré le développement de l’entreprise et entamé sa transition écologique et énergétique (TEE). L’entreprise est passée de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007 à 900 millions d’euros en 2021.  Il nous explique les raisons de ce succès.
 

Big média : Vous avez transformé le modèle stratégique de Jacky Perrenot pour y intégrer les enjeux climatiques. Comment cela s’est-il passé ?

Philippe Givone : Il y a dix ans on a commencé à observer un déclin du modèle des hypermarchés. L’évolution de la distribution des produits agroalimentaires vers les drives et les magasins de proximité ont complètement transformé notre business. Mais, qui dit plus de magasins de proximité dit plus de pollution sonore. Si le CO2 est abstrait, le bruit, lui ne l‘est pas. L’enjeu pour le transporteur est simple : faire face à ces contraintes imposées au voisinage et livrer de façon intelligente, en prenant en compte la pollution sonore. Nous avons donc cherché et trouvé une solution pour livrer sans bruit et avec des véhicules frigorifiques, réduisant la pollution sonore et atmosphérique. 

Cette réflexion est née de discussions avec Julien Torre Frappa, alors à la tête de Frappa Carrossier, une belle PME ardéchoise indépendante. Ce dernier a très vite senti l’opportunité. C’est lui qui a cru en ce projet. Il était convaincu que nous proposions un modèle vertueux qui porterait ses fruits en termes de business. Il savait par ailleurs qu’il pouvait compter sur nous. Grâce à ses tests menés sur l’azote, il a pu construire des véhicules hybrides. Une révolution.

BM: Mais rapidement, vous avez fait le choix d’aller encore plus loin. 

PG: Tout à fait. Nous étions sûr de ne pas avoir encore trouvé la bonne solution pour les véhicules moteurs. Nous nous sommes donc lancés dans une démarche de collaboration et de co-construction. Avec un autre constructeur, nous avons mis en place une flotte de véhicules qui fonctionne au gaz. Vous allez me dire que le gaz reste une énergie fossile et vous avez raison. Sauf que nous utilisons du biogaz issu des déchets, grâce au principe de la méthanisation. Une solution facile à identifier pour l’ensemble des acteurs, consommateurs, clients et parties prenantes. Nous avons même imaginé le slogan : “Je roule avec mes déchets”.  Carrefour a très vite adhéré au projet, ENGIE aussi. Ensemble, nous avons tous accepté de partager les risques. Évidemment cela a été difficile et chronophage. Mais finalement, le test de récupération des déchets organiques dans les magasins pour les méthaniser a été concluant. C’est un cercle vertueux. Les véhicules émettent aujourd’hui moins de 50 décibels quand ils roulent, autant qu’une simple conversation à deux, tout en polluant moins.

TEE dans les transports, « les décisions ont à prendre maintenant !»

BM : Comment êtes-vous parvenus à opérer une telle transition ?

PG : La transition énergétique doit avoir une pertinence opérationnelle et économique. Si vos équipes et vos clients sont contraints alors cela ne peut pas fonctionner. Evidemment, on a connu des écueils. Au départ l’autonomie était un peu plus faible, les coûts d’entretien plutôt élevés, la prise en charge de la panne rare et compliquée... Mais en vérité, nous avons a fini par adopter cette technologie car tout le monde y croyait, moi le premier. 
J’ai de la chance, car en tant que dirigeant j’ai une voix qui est entendue. Je me dois donc d’insuffler une dynamique. L’effort collectif a un impact direct sur la planète, il faut que tout le monde en ait conscience. Le camion est peut-être moins puissant et moins autonome, mais on avance ensemble vers un objectif commun. Et puis, les changements apportent de nouveaux clients, qui partagent notre vision et nos valeurs. Les chiffres augmentent, les emplois se multiplient. Les signaux sont au vert. 

BM : Les résultats démontrent donc que vous aviez raison d’y croire ?

PG : Complètement. Jacky Perrenot se révèle aujourd’hui comme leader européen voire mondial en matière de véhicules au gaz. A moyen terme, pus un seul de nos camions ne fonctionnera  à l’énergie thermique. Jacky Perrenot s’avère également leader des autres technologies de transition énergétique associées au transport grâce à notre côté pionnier et notre approche. Nous sommes à l’écoute du marché. Les clients s’adressent directement aux équipes en exposant leur problème et ensemble nous trouvons des solutions. Mais il faut aller encore plus loin, car l’enjeu est toujours le même : déployer l’innovation au-delà de l'étape “test” afin de conquérir de nouveaux clients. Le défi est gigantesque puisqu’en 2030, nous n’aurons plus le droit de livrer en consommant du diesel. 2030, c’est dans moins de 10 ans. La durée de vie d’un véhicule est de 8 à 10 ans. Les décisions sont à prendre maintenant !

« Nous avons réduit de 9 % notre consommation en carburant »

BM : Aux vues des enjeux environnementaux, le transport routier souffre d’une image négative auprès du grand public. Comment répondre à ce déficit d’image ?

PG: Les préjugés sont encore bien présents mais les chiffres parlent d’eux même. Nous avons réduit de 9 % notre consommation en carburant, et limité largement nos impacts. Si nous avons bien sûr notre part de responsabilité, cette image négative est ingrate. La route est encore longue, le secteur du transport routier est responsable de plus de 30 % des émissions de CO₂ en France, mais nous faisons partie des industries ayant produit le plus d'efforts en la matière.

BM : Comment envisagez-vous l’avenir ?

PG: Pour être honnête, je pense que c’est sous la contrainte qu’on trouve des solutions. Chez Jacky Perrenot, les projets ne manquent pas. Après l’azote, puis le gaz, nous allons développer l’hydrogène. Le problème arrive quand on analyse ces nouvelles technologies en globalité. Tout le monde a embrassé la “fée électrique” mais c’est loin d’être la solution la plus écologique. Les questions sont multiples : quid de la production d’électricité, des métaux rares pour fabriquer les batteries. Que faire des batteries usagées ? 

Pourtant, dans l’usage quotidien de chaque citoyen, le nombre d’objets électriques possédé ne fait qu’augmenter : portables, tablettes, ordinateurs, téléviseurs, vélo, véhicule, tondeuses. La solution du moment pour le transport consiste à se tourner vers les véhicules au gaz qui fonctionnent au biométhane. Certes, cela ne règle pas tout mais ça permet aujourd’hui de sauvegarder la pollution sonore et environnementale. L’avenir nous permettra de développer plein de nouveaux projets et de continuer notre croissance. Le monde change et c’est à nous de trouver de nouvelles solutions pour faire face aux ambitions des clients, aux souhaits des consommateurs, aux projets de nos équipes et aux idées de nos fournisseurs. A nous de jouer !
 

Marine Jouët
Marine Jouët Responsable Accélération, Direction fonds de fonds de Bpifrance