Tour de France : comment réagir lorsque vos salariés souhaitent regarder du sport au bureau ?

Tour de France, Coupe du monde de football, Roland-Garros, Jeux olympiques… De nombreux événements sportifs se déroulent pendant les heures de bureau. Comment les directions des ressources humaines et les managers gèrent-ils le phénomène dans l'Hexagone ? On fait le point. 

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Tour de France : regarder du sport au bureau
© Martin Ferron

En théorie, il n’est pas possible de faire autre chose sur son lieu de travail que de se conformer aux directives de son employeur, comme le stipule l’article L3121-1 du Code du travail. Dans la pratique, de nombreuses entreprises permettent à leurs salariés de pouvoir suivre certains événements phares, à l’image des matchs de l’équipe de France de football durant une Coupe du monde ou à l'occasion du Tour de France ou de Roland-Garros. Comment gérer la « problématique » de rencontres sportives programmées en pleine journée ? Certains salariés sont-ils réellement moins productifs durant ce type d’événement ? Nous avons interrogé un manager d’équipe et une chargée des ressources humaines à ce sujet.
 

Quels risques de regarder du sport au bureau ?

 
Délaisser un tableau Excel ou une présentation PowerPoint en pleine journée pour se poster devant une rencontre des Bleus en Coupe du monde, une échappée dans la montée de l’Alpe d’Huez ou encore un duel Djokovic-Alcaraz à Roland-Garros, avouez que c’est tentant ! Si certains managers s’avèrent conciliants et que de plus en plus d’entreprises organisent des événements en interne pour leurs salariés, le droit français n’autorise pas à « vaquer librement à des occupations personnelles » sur son lieu de travail. En théorie, vous êtes en faute si vous visionnez du sport en double écran dans l’open space. Dans la réalité, il existe une tolérance, sauf si la sécurité de votre entreprise est en jeu. Le code du travail ne prévoit pas toutes les fautes d’un salarié mais il existe un principe de proportionnalité de la sanction par rapport à la gravité de la faute commise. Les seuls cas de licenciement concernent des vigiles, des salariés chargés de la sécurité ou de la vidéosurveillance. En résumé des personnes qui, en abandonnant leur poste, posent un problème majeur à leur entreprise. Tous les salariés ne sont d’ailleurs pas égaux dans l’organisation de leur temps de travail, comme le stipulent les articles D. 3121-27 et D. 3121-28 du code du travail.

Quid d’une baisse de productivité ?


En effet, si les personnes bénéficiant du statut de cadre sont plus à même de planifier leur journée et de « rattraper » leurs heures, les non-cadres sont soumis à un régime plus strict et peuvent plus difficilement s’absenter de leur poste de travail, hormis pour prendre une pause. Là encore, tout dépend de l’entreprise mais également du management en place. « Tout le monde possède le statut de cadre dans notre entreprise », confie Claudie Caeiro, chargée RH chez Humanskills.  « La charge de travail de nos collaborateurs n’est pas répartie sur la journée, mais sur la semaine, voire sur le mois. Chacun s’organise, gère ses missions et ses objectifs. » Quid d’une baisse de productivité lors d’un tournoi sportif majeur ? « Je n’ai pas remarqué de baisse de productivité durant la Coupe du monde au Qatar par exemple », note Claudie Caeiro. « Notre philosophie RH est basée sur la confiance et la responsabilité de chacun. Si certains salariés souhaitent suivre un match en pleine journée, pas de problème. Tant que le travail est rendu en temps et en heure, c’est le principal. Evidemment, s’il y avait des abus, on serait amené à prendre certaines mesures, mais ce n’est jamais arrivé chez nous. » Anticiper les éventuelles demandes et créer un événement au sein de sa structure, plutôt que de subir la situation, la clé du succès pour l’employeur ?

En faire une opportunité plutôt qu’un événement subi


Si certains vont jusqu’à poser des jours de congé ou se mettre en télétravail pour ne rien rater d’un événement sportif, dans certaines structures, les employés n’ont pas à se poser la question car l’entreprise a tout prévu. C’est le cas chez Ipsos, institut de sondage et spécialiste des études de marché, basé dans le sud de Paris. « En amont de la Coupe du monde 2022, notre CSE (comité social et économique de l’entreprise, NDLR) a lancé un concours de pronostics », explique Romain Napierala, directeur associé du département tendances et prospective chez Ipsos. « Un événement a également été créé lors du Tunisie-France, disputé un mercredi à 16h. L’équipe de communication interne avait invité l’ensemble des salariés à venir regarder le match dans une salle sur un grand écran. Ce genre d’initiative toute simple génère de l’émulation et permet de créer du lien au sein d’une même équipe mais aussi entre équipes transverses. La hiérarchie et les écarts générationnels n’ont plus d’importance, les barrières tombent. Même celles et ceux qui ne sont pas spécialement fans de foot se prennent au jeu. C’est important dans des entreprises de grande taille comme la nôtre où tout le monde ne se côtoie pas forcément. »
Si créer du lien entre collaborateurs et avec l’entreprise a toujours été un enjeu central pour les ressources humaines, celui-ci a pris une ampleur particulière ces derniers temps, alors que la crise du Covid-19 et ses différents confinements ont contribué à mettre de la distance entre salariés et employeur.

Le bien-être des salariés est devenu une priorité

Explosion du télétravail, grande démission, déstructuration des équipes et montée de l’individualisme : 70 % des managers trouvent que leurs collaborateurs sont plus individualistes qu’avant le Covid-19, d’après un sondage OpinionWay pour l’Observatoire de l’engagement dévoilé en novembre 2022. Face à cette nouvelle donne, les entreprises tentent d’apporter des réponses variées afin de préserver l’engagement collectif. Roland-Garros ou une Coupe du monde de football peuvent s’avérer être une aubaine pour les services RH dans le but de recréer du lien entre salariés et tenter de faire revenir les collaborateurs au bureau. « Une manifestation sportive, c’est forcément fédérateur, cela crée un point commun en dehors du travail », remarque Claudie Caeiro, chargée RH pour Humanskills. « Au bureau, il suffit qu’une personne lance un match sur son téléphone pour que quelques minutes plus tard un groupe se soit formé. Néanmoins, ce n’est pas magique ! S’il y a des problèmes managériaux ou de communication entre collègues, ce type d’action ne va pas régler tous les problèmes. » Romain Napierala, directeur associé du département tendances et prospective chez Ipsos ajoute : « Ce sont des petits moments de convivialité qui nous rapprochent et fabriquent des souvenirs en commun. Cela crée une atmosphère positive qui, de mon point de vue, contribue à se sentir bien sur son lieu de travail et rejaillit sur la qualité des collaborations en interne. Chacun est responsabilisé, appelé à garder en tête le sens des priorités. Chacun a aussi à cœur de rendre la confiance qui lui a été accordée. » 

Si le sentiment de bien-être au travail est un état d’esprit subjectif, il est plébiscité comme un enjeu prioritaire de l’épanouissement des salariés, notamment pour la nouvelle génération. Une enquête réalisée par BVA Opinion pour l’ISC Paris révèle en effet que pour 85 % des jeunes âgés entre 18 et 24 ans, l’entreprise doit veiller avant tout au bonheur de ses salariés pour être performante.

Simon NAPIERALA
Simon Napierala Redacteur web