Pourquoi le marché des organoïdes est-il en plein essor ?

La culture d’organoïdes représente une des voies alternatives les plus prometteuses pour s’affranchir des pratiques de tests sur animaux et offrir une source de soins plus personnalisés. Un marché porteur décrypté par Franck Yates, responsable du laboratoire Sup’Biotech et enseignant-chercheur. 

  • 08 juin 2023
  • Temps de lecture: 2-3 min
organoides

« Pour vulgariser le propos, je dirais que si vous avez assimilé le principe de jumeaux numériques, alors vous n’aurez », affirme Frank Yates, responsable du laboratoire Sup’Biotech et enseignant-chercheur. Découverts en 2007 par le professeur Shinya Yamanaka, les organoïdes sont aujourd’hui maîtrisés par des centaines, sinon des milliers de laboratoires dans le monde. Ces structures cellulaires en trois dimensions, reproduisant l’architecture et le fonctionnement de l’organe entier, permettent non seulement de limiter les tests sur animaux mais également d’offrir une médecine personnalisable aux patients. Beaucoup plus précis et reproductibles, les organoïdes promettent d’offrir de nouvelles réponses à des maladies telles que le cancer, le diabète ou la mucoviscidose.   
Pour décrypter ce marché en pleine extension, Frank Yates expose à Big média les enjeux à relever pour que ces mini-organes puissent s’industrialiser dans un futur proche. 

Big média : Frank, pourquoi avoir choisi d’orienter vos recherches sur les organoïdes ?  

Frank Yates : J'ai développé un labo spécialisé dans l'étude des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer ou Crossfield Jacob. Pour les étudier, nous avons choisi de travailler sur des modèles d'organoïdes tridimensionnels reproduisant les fonctionnalités du cerveau.  

BM : Et comment réussit-on à développer des organoïdes ?  

FY : En maîtrisant les conditions de culture, on peut parvenir à fabriquer des cellules souches à partir de cellules de peau ou du sang du patient. Nous sommes capables de recréer du muscle, du foie, du cerveau, etc. Donc pour schématiser, on part de cellules de peau et on arrive à des cellules de cerveau. 
Mais même si les organoïdes se rapprochent du cerveau humain, ce ne sont évidemment pas des « mini cerveaux », comme certains aiment à les appeler. Ici, il ne s'agit aucunement de fabriquer des organes in vitro, on laisse plutôt ça à la science-fiction.  

À ses débuts, cette innovation a largement retenu l’intérêt des scientifiques et, aujourd’hui, c’est au tour des industriels de s’en emparer puisqu’il est désormais possible de modéliser des organes afin de mieux comprendre leur fonctionnement normal, mais également pathologique. 

“Nous allons explorer les problématiques de longévité de vie souvent liées aux maladies neurodégénératives” 

BM : Récemment vous avez participé à un projet de recherche dans le but d’envoyer des organoïdes cérébraux à bord de la Station spatiale internationale. Quel est l’objectif de cette étude ?   

FY : À travers ce partenariat, nous espérons comprendre les effets de l’environnement spatial sur les cellules neuronales. C'est à la fois un défi technologique et scientifique.  
Scientifique, puisque nous allons explorer les problématiques de longévité de vie souvent liées aux maladies neurodégénératives. Donc imaginez les enjeux ! Si on arrivait un jour à comprendre les mécanismes liés au vieillissement, peut-être qu'on arriverait à trouver des nouvelles pistes de guérison pour ces pathologies. 

Quant au défi technique, vous pensez bien qu’on ne cultive pas des cellules en apesanteur comme on le ferait sur terre ! Et donc en poussant les cellules dans leurs retranchements, en allant les cultiver dans des conditions extrêmes, on espère en apprendre davantage sur leur vieillissement, mais aussi mieux comprendre ce qui se passe lorsqu’elles sont confrontées à des maladies pour lesquelles il n'existe aucun traitement.  

BM : Quel est le défi majeur à relever pour que les organoïdes soient plus largement utilisés ?  

FY : Les industriels s’intéressent de très près à cette technique, c’est pourquoi ils initient de plus en plus d’actions en vue d’automatiser la création d’organoïdes. Quand on est chercheur, on est habitué à travailler « à la main », mais il est évident que les industriels ont besoin de culture automatique. Ce besoin nous oblige à réfléchir à ces notions de reproductibilité, d'automatisation et de diminution du temps humain. 

BM : Selon vous, le monde se dirige-t-il vers une médecine personnalisée ? 

FY : La médecine personnalisée, c'est quelque chose dont on parle beaucoup, et c’est un secteur dans lequel les organoïdes pourraient parfaitement avoir leur place. Demain, il sera peut-être possible d’analyser les cellules d'un patient, d’en faire des organes pour tester l'effet d'une molécule sur son corps. C'est quelque chose qu’on commence à peine à explorer et qui aura probablement beaucoup d'impact dans les années à venir.  

Cela va bien évidemment nécessiter des défis techniques et scientifiques. Et c'est en partie une des raisons pour lesquelles notre école s'est engagée dans ces domaines-là. A terme, l’ambition est de créer des emplois dans le futur, aussi bien pour les ingénieurs que pour les chercheurs, voire même dans d'autres pans de la société.  

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web