L'avenir du spectacle vivant à l’heure du Web3

Romain Laleix, directeur général délégué au sein du Centre National de la Musique revient sur les enjeux du spectacle vivant de demain et sur la place du digital dans sa transformation.

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« L’expérience spectateur ne restera pas celle d’hier comme elle n’est pas celle d’aujourd’hui, ni ne préfigure celle de demain » affirme la dernière étude menée par le Centre National de la Musique (CNM). Si les acteurs du spectacle vivant (concert, opéra, danse, théâtre, arts de la rue...) ont bien retenu une chose de la pandémie, c’est que leur pérennité se trouve dans un modèle hybride. Pour ce faire, nombre d’entre eux mise désormais sur le digital à l’image de la chanteuse Aya Nakamura qui a donné un concert sur le jeu en ligne Fortnite ou des artistes comme David Guetta, Young Thug et The Chainsmokers qui se sont produit dans le métavers. 

Mais l’avenir du spectacle vivant ne passera-t-il que par le digital ? Eléments de réponse avec Romain Laleix, directeur général délégué au sein du CNM. 

 

Big média : À l'image de nombreux secteurs, le spectacle vivant a dû s’adapter et se réinventer suite à la crise sanitaire. Beaucoup évoquent l’importance du digital, mais est-ce la seule solution pour le faire perdurer dans le monde de demain ?

Romain Laleix : Le secteur de la musique a été un des précurseurs du digital. Après avoir durement souffert du piratage, les professionnels de la musique enregistrée ont su réinventer un modèle, notamment autour du streaming. En matière d’innovation, les opérateurs  du spectacle vivant ne sont pas en reste. Billetterie, promotion, expérience augmentée, ils se sont emparés du numérique depuis de nombreuses années et ne comptent pas laisser passer le train des opportunités offertes par les nouveaux outils de diffusion, Livestream, NFT, Metavers. Pour autant, dans le Web3, comme sur les réseaux sociaux, ou sur scène c’est la singularité de l’expérience qui fera la différence. Investir ces « nouveaux mondes » nécessite forcément, une part d’audace  et d’expérimentation, mais exige aussi de bâtir des stratégies solides. Ces nouveaux modes de diffusion sont des outils, qui n’ont de sens que s’ils servent à renforcer le lien entre l’artiste, l’œuvre et le spectateur. Si on n’a pas cette réflexion préalable et que le public ne se retrouve pas dans cette nouvelle « narration »,cela ne marchera pas. 

 

BM : Si le digital n’est pas une fin en soit, il a malgré tout un rôle à jouer ?  

RL : Tout à fait. Il est essentiel que les acteurs du secteur s’emparent davantage des outils numériques et accélèrent leur transformation digitale, et là, je ne parle pas uniquement d’outils complexes ou coûteux mais de ceux déjà mis à leur disposition grâce au Web2. Les réseaux sociaux doivent être plus et mieux utilisés pour contribuer à augmenter l’expérience. Certaines esthétiques, certaines propositions artistiques se sentent encore exclus ou éloignées de ces modes d’accès au public. Au CNM, nous ne nous y résignons pas. C’est notre rôle, au soutien de la diversité, que d’aider ces professionnels à se saisir de ces outils. On doit notamment faire des progrès sur l’utilisation de la métadonnée qui permet de faciliter l’accès aux œuvres, à l’image du secteur sportif qui mobilise une quantité d’informations sur les joueurs ou les équipes, pour enrichir la narration du spectacle proposé au public. 

Ensuite, avec pragmatisme et ambition, ils faut aussi travailler sur le Web3 et les expériences qu’il est désormais possible de créer grâce à lui, que ce soit en exploitant les dimensions virtuelles du spectacle ou en essayant d’enrichir et de renforcer l’engagement des publics, par le biais des NFT par exemple. A ce jour, la qualité d’expérience n'est pas encore aboutie, mais c’est justement parce qu’ils sont expérimentaux que ces outils peuvent ouvrir de opportunités puisque les positions, y compris à l’international, ne sont pas encore prises.

 

BM : Selon vous, comment pourrait se caractériser cette nouvelle expérience du spectateur ?  

RL : Ça commence tout en amont, avec l’histoire qu’on va lui raconter et qui va l’embarquer dans l’expérience. Cela peut commencer dès l’achat du billet, et se prolonger dans la préparation du spectacle, puis l’expérience réelle, l’accueil, le spectacle lui-même, l’interaction avec les artistes, les œuvres, le public et enfin ses prolongements virtuels. Mais là encore, attention. Quand on va à un concert c’est pour voir un ou une artiste, c’est l’essence même de ce type d’expérience. Je pense donc que les nouveaux formats doivent intégrer cette notion et permettre une connivence avec l’artiste. Ça ne peut pas simplement être un avatar. Il faut qu’il y ait un supplément d’âme. 

 

BM : Selon vous, on ne peut pas vivre un concert à l’Olympia dans le métavers comme dans le réel ?  

RL : Non, c’est certain. Je ne pense pas qu’il y ait de substitution possible, c’est-à-dire qu’on ne pourra jamais vivre (et le mot à son importance) un concert à l’Olympia dans le métavers. En revanche – et c’est même paradoxal - je pense que le métavers peut être un lieu où on découvre l’Olympia. Comme une sorte d’introduction au lieu pour le spectateur.  

 

« Je ne vois pas pourquoi la musique classique ne pourrait pas avoir tout autant sa place dans le métavers que l’électro ou le rap »

 

BM : Comment prolonger l’expérience ?  

RL : Les NTF peuvent être un outil génial pour offrir un service supplémentaire. Ils pourraient par exemple permettre d’avoir des accès privilégiés. Le volet merchandising a également son importance. C’est aussi grâce à lui qu’un spectateur peut se remémorer l’expérience qu’il a vécue. Là encore, le Web2, notamment les réseaux sociaux, permet déjà de préparer et de prolonger l’expérience. On y poste ses vidéos, on les partage à sa communauté et on l’embarque dans ce moment. Ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte dans sa stratégie de diffusion. 

 

BM : Des usages qui sont d’ailleurs très propres aux jeunes générations. Pourtant votre étude révèle qu’il y a de gros enjeux autour de leur intérêt pour la musique, notamment le classique.  

RL : Aujourd’hui, le hip-hop est un des genres musical les plus plébiscité par les 12-18 ans. Mais il ne faut pas oublier que tous les répertoires dialoguent et s’enrichissent les uns, les autres. Donc l’objectif, c’est de favoriser l’accès aux œuvres, et de s’adresser au jeune public là où il se trouve (jeux vidéos ou audiovisuels par exemple) afin de créer des ponts entres musiques et expériences. 

Pour ce faire, il faut bien sûr mettre en place des coopérations et des dialogues entre les esthétiques, mais je ne vois pas pourquoi la musique classique ne pourrait pas avoir autant sa place dans le métavers que l’électro ou le rap. 

 

BM : Dans le cadre du CNM, quelles innovations majeures avez-vous vu émerger ?  

RL : Effectivement, dans le champ de l’expérience spectateur, on a soutenu le développement d’une application qui s’appelle « Safer » développée par le festival Marsatac à Marseille et qui permet à ses utilisateurs, se trouvant exposés à une situation de harcèlement ou de violence pendant un concert, de déclencher un système d’alerte afin d’être protégés. C’est un des exemples du genre d’innovation qui se développe de plus en plus pour accompagner le spectateur et lever les barrières ou les freins que certains peuvent ressentir par rapport à ce type d’événement. 

 

BM : La cause environnementale est également un autre enjeu du secteur ?   

RL : Dans la proposition que les acteurs de la scène musicale doivent développer, il y a également une notion d’engagement à mettre en place. Ça passe bien évidemment par une démarche plus vertueuse auquel le public est très sensible. On n’a pas le choix, il va falloir s’adapter et c’est déjà le cas pour beaucoup de représentations qui visent désormais l’exemplarité. Nombre d’artistes refusent aujourd’hui de prendre l’avion et privilégient des plans de tournée qui limitent les trajets et s’assurent que les salles dans lesquelles ils jouent disposent de dessertes de transports publics. Le transport des publics est d’ailleurs le plus gros challenge du secteur du spectacle, car c’est par lui que passe la majorité des émissions carbone. 

mélanie
Mélanie Bruxer Rédactrice web