La filière cosmétique-parfums : l’excellence à la française

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Judith Levy [MÊME Cosmetics] : “Personne avant nous ne voulait prendre le risque de se lancer dans les cosmétiques dédiés au cancer”

C’est dans le but d’offrir aux femmes concernées par le cancer des produits adaptés aux traitements invasifs que Judith Levy et Juliette Couturier lancent en 2017 MÊME Cosmetics. Retour sur la genèse de l’entreprise, et son positionnement sur un marché de niche. 

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En juillet 2021, MÊME Cosmetics dévoilait “Danser sous la pluie”, une nouvelle série de podcasts bien décidée à parler de cancer autrement. Un projet qui s’inscrit dans l’ADN de la marque, déjà pionnière dans les soins dermo-cosmétiques dédiés aux femmes, et plus spécifiquement à celles qui sont touchées par cette pathologie. MÊME Cosmetics, c’est aussi l'histoire de deux jeunes femmes qui, après avoir côtoyé la maladie, ont décidé d’offrir un soutien moral et physique aux patientes en se positionnant sur un marché de niche dans lequel personne n’osait s’aventurer. 

Big média : La naissance de MÊME est intimement liée à votre histoire personnelle, qui vous a permis de réaliser qu’il y avait un vrai besoin en produits cosmétiques dédiés aux personnes atteintes de cancer.  

Judith Levy : Effectivement. Ma maman est décédée d’un cancer alors que j’avais à peine 18 ans. Au début de son traitement, on s’attendait à la perte de cheveux et aux nausées mais pas forcément aux autres effets secondaires. Rapidement, on a découvert que la chimiothérapie et les thérapies ciblées agressaient et asséchaient énormément la peau et les ongles. Ma mère ne pouvait plus poser le pied par terre ou tenir un stylo tellement sa peau était crevassée et infectée. A l’époque, on ne trouvait aucun produit en pharmacie pour la soulager. Ces douleurs jouent énormément sur la résilience des patientes et leur capacité à garder le moral et se battre contre la maladie. 

Dans la cadre de ma dernière année d’études de design en 2014, j’ai imaginé MÊME pour apporter une solution à ces problèmes sans pour autant en faire une marque médicale. Je voulais qu’elle puisse parler du cancer sans tabou, grâce à une image de marque féminine et douce. 

BM : Ni vous, ni votre associée Juliette Couturier n’aviez de réelle expérience dans le secteur de la cosmétique si ce n’est un stage de fin d’étude chez l’Oréal, où vous vous êtes rencontrées, alors comment avez-vous fait pour lancer une marque aussi exigeante que MÊME ? 

JL : Je crois que notre naïveté et notre inexpérience nous ont rendues plus exigeantes. On s’est d’abord entourées de spécialistes en cancérologie et dermatologie pour comprendre ce qu’il se passait pendant les traitements. La bouche en cœur, on a toqué à la porte d’un premier oncologue, au culot, à 23 ans, avec notre idée de crème miracle. Notre chance a été que les médecins prenaient conscience en même temps que nous de l’impact des effets secondaires des traitements sur le moral des patientes. 

On a également organisé de nombreux ateliers avec des femmes en cours de chimiothérapie. Leurs avis ont été extrêmement précieux pour nous, car elles nous ont guidée en nous disant exactement ce dont elles avaient besoin et ce qui leur faisait peur, notamment concernant les composants cosmétiques. Notre objectif était de faire en sorte qu’elles puissent avoir une confiance totale en nos produits. 

BM : Quelles sont les contraintes lorsqu’on souhaite lancer ce type de produit ? 

JL : Quand on a commencé à travailler les formules avec un laboratoire, on a fourni un cahier des charges très clair sur ce que l’on voulait et ce que l’on ne voulait pas en termes de composition, d’application ou de stockage. On a fait une blacklist très exigeante, mettant de côté le moindre composant suspect. Nos produits ont pu être développés en un an, avec des compositions saines, à plus de 95 % d’origine naturelle sans être bio pour autant, notamment à cause des propriétés allergènes des huiles essentielles. 

BM : Vos produits ont été commercialisés deux ans après le lancement de votre entreprise, contre les six mois initialement prévus. Comment avez-vous meublé cette période de latence ? 

JL : Au fur et à mesure de nos rencontres avec les médecins, on récoltait énormément de conseils, pas forcément liés à la cosmétique. On a décidé d’ouvrir un blog et de lancer nos réseaux sociaux en amont de la commercialisation des produits pour y partager la mine d’or d’informations récoltées et communiquer sur l’avancée du projet. Notre communauté est née comme ça et, encore aujourd’hui, plus de 55 % du trafic de notre site arrive grâce à notre blog.

BM : Le marché de la cosmétique foisonne d’acteurs. Comment expliquez-vous le fait que les produits dédiés aux personnes atteintes de cancer n’aient pas été considérés avant la création de MÊME ? 

JL : La difficulté majeure de cette entreprise est son positionnement marketing délicat. Personne avant nous ne voulait prendre le risque de se lancer dans cette niche et s’exposer aux reproches de “faire du business sur la maladie”, d’autant plus que ce n’est pas évident de provoquer quelque chose de positif autour de ce sujet. L’expérience joue ici un rôle primordial. En ayant vécu la maladie, on sait mieux ce qu’on peut dire et ne pas dire, et ce dont les patients ont vraiment besoin pendant cette période, bien que cette entreprise reste un sacré défi !