Jean-Luc Baclet [Transmat] : « Si la croissance organique est un escalier, la croissance externe est un ascenseur »

Créé en 2000, le groupe de transport jurassien Transmat s’est développé notamment grâce à plusieurs opérations de croissance externe. Jean-Luc Baclet, son dirigeant, nous partage les enjeux qui se cachent derrière ces acquisitions. Interview.

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72 % de dirigeants de PME ont l’intention de racheter une entreprise dans les cinq prochaines année. C’est ce que révèle une étude menée par Bpifrance Le Lab, en partenariat avec France Invest, auprès de dirigeants de PME. Ancien chauffeur, Jean-Luc Baclet, aujourd’hui dirigeant de Transmat, fait partie des 34 % de chefs d’entreprise ayant finalisé une opération de croissance externe ces cinq dernières années. Pour développer son groupe de transport, il a mené plusieurs acquisitions, quitte à regretter la distance le séparant progressivement de ses équipes. Il nous en dit plus. 

Big média : Avec Transmat, vous avez déjà racheté plusieurs entreprises. Pouvez-vous nous décrire les enjeux stratégiques derrière ces opérations ?

Jean-Luc Baclet : J’ai souvent agi par opportunité. Certaines de mes connaissances m’ont fait part d’une entreprise en vente ou d’une entreprise dont le projet pouvait s’intégrer au mien. Avec ces opérations, j’ai pu soit consolider ma force de frappe dans une activité, soit développer de nouvelles activités complémentaires et bénéficier d’emblée d’un chiffre d’affaires et d’une clientèle.
Dans certains cas, la menace de l’implantation d’un concurrent a pu suffire à me faire agir. Dans le secteur des toupies béton par exemple, j’ai racheté des entreprises pour éviter que d’autres sociétés prennent pied dans ma région d’activité. 

A chaque fois, je me concentre sur des entreprises en bonne forme financière. Les opérations coûtent plus cher, mais les effets bénéfiques sont plus immédiats. Si tout se passe bien, en cinq ans, on peut rembourser le prêt contracté pour l’opération. 

BM : Pouvez-vous nous parler d’une opération en particulier ?

J-L B. Il y a quelques années, j’ai acheté une entreprise, spécialisée dans le transport de citernes. Le rachat m’a permis de recruter trois personnes expérimentées et d’acquérir du matériel de qualité, tout en gagnant l’accès à un nouveau panel de clients. Cela m’aurait pris un temps fou d’acheter des citernes par moi-même, de trouver du personnel qualifié et de gagner la confiance de clients avec des besoins importants. Il faut avoir en tête que les grands comptes ne veulent pas toujours ouvrir leur carnet de fournisseurs. Le gain de temps a donc été considérable. Si la croissance organique est un escalier, la croissance externe est un ascenseur. Grâce à elle, on grimpe plus vite les étages et en dépensant moins d’énergie.

Beaucoup de dirigeants arrivent à l’âge de la retraite et n’ont ni héritier ni repreneur désigné

BM : Comment vous y êtes-vous pris pour trouver de bonnes opportunités sur le marché ? 

J-L B. La constitution d’un réseau, les discussions informelles, les coups de chance… Voilà comment j’ai pu trouver des sociétés intéressantes à racheter jusqu’à présent. Je n’ai jamais passé de coup de fil à une banque d’affaires. Aujourd’hui, je passe le plus clair de mon temps à discuter avec des clients, des fournisseurs ou d’autres chefs d’entreprise. Ce n’est plus un métier, c’est une passion. Dans mon secteur, beaucoup de dirigeants arrivent à l’âge de la retraite et n’ont ni héritier ni repreneur désigné. Rien que dans mon groupement sectoriel, France Benne, 50 % devrait prendre leur retraite d’ici à cinq ans. Une grande vague de concentration est à prévoir. Les gros poissons vont manger les petits car reprendre une entreprise de cinquante personnes n’est pas donné à tout le monde. J’espère que ce mouvement ne se fera pas au détriment des chauffeurs, déjà trop souvent payés au lance-pierre. 

BM : La phase de due diligence peut en décourager certains. Quelle est votre méthodologie en la matière ? 

J-L B. On prend forcément du temps pour demander comment ça se passait avant. Cette étape permet d’identifier de bonnes recettes à dupliquer chez nous et d’éviter les incompréhensions entre les parties. Que regardons-nous en priorité ? Tout dépend de l’entreprise, de son projet, de sa valeur et de son historique. Le bien-être des salariés est souvent révélateur de toute la philosophie de l’entreprise. S’ils se sentent bien, on retrouve des investissements cohérents au niveau des salaires et du matériel. 
Pour l’analyse des éléments financiers, je me repose sur mon comptable. On transmet aussi les bilans de la cible au banquier, accompagnés de nos prévisions de développement sur cinq ans. Leurs analyses nous sont précieuses pour évaluer le bon montant du rachat.

BM : Lors des négociations avec les vendeurs, quels sont les principaux obstacles à surmonter ? 

J-L B. La valorisation de la société à vendre entraine souvent des discussions houleuses. Les prix d’achat proposés peuvent être trop faibles. Parfois, les vendeurs doivent revoir leur copie à la baisse pour faire avancer les discussions. Tout a un prix, mais les offres dépendent de ce qu’on peut donner et des bénéfices escomptés. 
Chaque chef d’entreprise fera ses propres calculs. Certains sont capables de payer le double du prix quand ils connaissent l’intérêt stratégique de telle ou telle activité. On ne met pas tous le curseur au même endroit, et pour la partie en face, ces questions se posent aussi. Il est difficile de voir clair dans les intentions de l’autre ! Mais on peut aussi sentir que le patron en face veut vous la faire à l’envers, et dans ces cas-là, on arrête tout. C’est une question de personne avant tout.

“J’ai tout de suite vu que les gens devaient apprendre à travailler sans moi”

BM : Quels enjeux a pu soulever l’intégration des entités acquises dans votre propre structure ?

J-L B. L’intégration est une phase complexe. Quand on est habitué à embaucher soi-même ses collaborateurs, cela fait un choc de recruter d’un coup quinze personnes via une acquisition. Les premiers jours, les nouveaux arrivés peuvent aussi se sentir à l’écart. Leur ancien dirigeant n’est plus à leurs côtés, et cela peut être difficile de trouver sa place. Il faut donc être attentif à sa communication, mais aussi aux différences de salaires, qu’il faut remettre à niveau au plus vite. Pour gagner en cohérence, je fais en sorte que chaque métier reçoive la même rémunération. Cela permet de motiver tout le monde et d’éviter les différences de traitement injustes. Les mauvais éléments qui profitent de ce système, on les repère assez vite. Même si c’est malheureux, on s’en sépare. Tout ce volet social n’est pas simple à gérer. 

BM :  Lorsqu’on est dirigeant d’une PME et qu’on se lance dans le rachat de sociétés, comment cela bouleverse-t-il votre quotidien ?

J-L B. Je me suis beaucoup détaché de mon entreprise et j’ai tout de suite vu que les gens devaient apprendre à travailler sans moi. Il m’a fallu développer une structure pour que tout continue de fonctionner, même en mon absence. C’est un luxe qui n’est pas donné à tout le monde, mais j’ai eu la chance d’être suffisamment bien entouré pour le faire. C’est triste et difficile à admettre, mais on délaisse un peu le reste lorsqu’on s’engage dans des projets aussi dévorants. Il faut alors des gens de confiance à ses côtés pour leur confier les affaires courantes. 
 

Pour aller plus loin retrouvez l'étude Petites et moyennes entreprises aux grandes ambitions : la croissance externe à l’échelle des PME sur le site de Bpifrance Le Lab. 

 

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