Jambe bionique : une innovation française

Commercialisée en début d’année 2022, la jambe bionique imaginée par l’entreprise Proteor confirme le statut de Deeptech Nation de la France et laisse entrevoir un nouveau champ des possibles à de nombreux patients. 

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proteor
©Philippe BRIQUELEUR

Anticiper le pas d’après. Femme cyborg, homme bionique... derrière ces appellations, qui nous transportent dans l’univers Marvel, se cachent des personnes pour qui l’impensable est aujourd’hui une réalité. 
Novembre 2018, Abel Aber, amputé de la jambe suite à un accident de scooter, redécouvre l’insouciance d’une marche naturelle et spontanée, et ce quel que soit le terrain, grâce à une prothèse bionique unique au monde. Baptisée SPCM (système prothétique de cheville mécatronique), cette innovation conçue par l’entreprise Proteor - spécialisée depuis plus de 100 ans dans les prothèses, les orthoprothèses et les composants orthopédiques - est composée d’un ensemble genou-cheville-pied équipé de capteurs. Le genou et la cheville sont synchronisés grâce à des microprocesseurs qui permettent à la prothèse de s’adapter aux différentes situations de marche et aux fluctuations de terrains. Cette technologie offre au patient une plus grande aisance dans ses mouvements, se rapprochant au maximum de la sensation d'origine. « Jusqu’à présent les patients amputés trans-fémoraux (au-dessus du genou) devaient avoir recours à plusieurs prothèses, une procédure lourde et très inconfortable », affirme Jean-François Cantero, directeur général de Proteor, une entreprise bourguignonne. 

Une innovation mondiale 

Si marcher avec cette jambe bionique semble aujourd’hui si simple pour Abel Aber, il n’en demeure pas moins que la technologie qui se cache derrière a nécessité à elle seule plus de 10 ans de recherche et plusieurs millions d’euros d’investissement. Au-delà de la R&D nécessaire pour développer ce type d’innovation, les équipes de Proteor ont dû se confronter à un problème de taille… ou plutôt de poids. Faisant appel aux mêmes technologies que celles que l’on retrouve dans la construction de bras ou de mains, cette prothèse doit également supporter le poids du corps du patient. « Encore aujourd’hui, les prothèses sont lourdes et pas assez ergonomiques. Gardez une botte de ski toute une journée, montez et descendez des escaliers, et vous aurez une petite idée de ce que vivent les personnes qui doivent porter une prothèse à vie. », résume le dirigeant de Proteor. Il a donc fallu trouver les matériaux les plus légers possible, comme le carbone ou l’inox, afin de réduire le poids de la prothèse à moins de 3 kilos.

« En développant cette innovation, on avait aussi dans l’idée de créer une prothèse très peu gourmande en énergie », ajoute Jean-François Cantero. Equipée de capteurs qui permettent à l’hydraulique de circuler dans la prothèse, la SPCM a une autonomie de 20 à 48 heures, en fonction de son utilisation. « Bien sûr, nous aimerions que notre prothèse soit plus résistante, mais le problème est que dans une jambe, on n’a pas vraiment la place de mettre une batterie aussi puissante que celle d’une voiture ! ». 
Distribuée au tout début de l’année 2022, la SPCM doit, avant sa commercialisation, être soumise à la Haute Autorité de Santé. Une procédure qui permettra notamment son remboursement par la Sécurité sociale. Elle sera également suivie dans les mois à venir par une version complètement étanche, toujours dans le but de faciliter au maximum le quotidien des patients. 

Au secours des “gueules cassées” 

Soutenue par la Direction générale de l’armement dans le but d’améliorer l’appareillage des blessés de guerre, la solution de Proteor est loin d’être la première à être venue en aide aux soldats français. Fondée en 1913 pour accompagner les « gueules cassées », ces combattants blessés ou amputés suite à la Grande Guerre, Proteor se développe sur les bords de la Saône. Un emplacement stratégique puisqu’à l’époque les prothèses étaient essentiellement faites à partir de bois de saule, un matériau tendre qui servait notamment à créer des emboitures (ndlr : interface entre le moignon de la personne et la prothèse). Dans les années 60, l’entreprise familiale élargit son scope et s’ouvre à la commercialisation (en France et à l’international) de composants – qu’elle utilise pour créer ses prothèses – comme des pieds, des genoux, des chevilles etc…

« A partir de 2010, on a constaté que la croissance organique que nous menions depuis notre création avait ses limites. On est donc rentré dans une dynamique de croissance externe ». Dans un premier temps, l’entreprise se focalise le marché hexagonal de l’appareillage et reprend notamment, fin 2016, le numéro 4 français du secteur. « Aujourd’hui, nous sommes présents sur 66 sites en France et nous détenons 25 % du marché. Pour résumer, 1 prothèse sur 5 vient de chez nous ! ». 

Depuis 2018, l’entreprise se tourne vers l’international, notamment via la vente de composants. Après avoir racheté deux entreprises du secteur, Proteor compte bien assoir sa présence des deux côtés de l’Atlantique et poursuivre son expansion aux Etats-Unis « qui est le marché numéro 1 en orthoprothèses ».