Guerre en Ukraine : quelles conséquences macro-économiques pour les entreprises françaises ?

Sabrina El Kasmi, responsable du pôle Conjoncture et Macroéconomie de Bpifrance revient sur les risques et les conséquences économiques de la guerre en Ukraine pour les entreprises françaises.

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Il y a seulement quelques semaines, plus de 500 entreprises françaises se trouvaient sur le sol russe, dont 35 membres du CAC40. Aujourd’hui qu’en est-il ? Sabrina El Kasmi, responsable du pôle Conjoncture et Macro-économie chez Bpifrance, dresse un état des lieux de la situation, à date, et nous apporte des éléments de réponses quant à l'impact macroéconomique sur l'activité française. 

Big média :  Quel pourrait être l’impact macroéconomique de la guerre en Ukraine sur l’activité française ?

sek3Sabrina El Kasmi : Avant que le conflit n’éclate, les instituts de prévisions tablaient sur une croissance française comprise entre 3,5 et 4 % en 2022. Mais à ce stade, il est difficile de savoir à quel point notre économie sera affectée. 
Pour vous donner une petite idée de ce qui pourrait se produire, si on supposait un prix du baril à 110 dollars en moyenne, ça représenterait 0,4 point de croissance en moins en 2022. On sait aussi qu’une hausse de 20 % des matières premières, hors énergies, équivaudrait à une réduction du taux de croissance du PIB français de 0,1 point. 
Et dans un scénario extrême d’embargo sur les imports de gaz russe, on pourrait s’attendre à une réduction du taux de croissance du PIB de la zone euro de 3 à 4 points. 
 
Evidemment tout cela a un impact sur l’inflation. Avant le conflit, les instituts de prévision tablaient sur une inflation comprise entre 3,2 et 3,9 % en zone euro, et entre 2,5 et 3 % en France. L’inflation pourrait être revue à la hausse d’au moins un point, voire bien plus en cas d’escalade des sanctions et mesures de rétorsion, en particulier si le marché de l’énergie était concerné.
 

BM : La France pourra-t-elle mettre en place une politique économique pour amortir le choc ? 

SEK : Oui, en particulier dans un contexte où les règles budgétaires européennes restent suspendues. Le plan de résilience économique et sociale, annoncé le 16 mars, se concentre sur les filières les plus affectées. Il prévoit notamment une remise sur le carburant de 15 centimes par litre pour les particuliers et professionnels, une aide aux entreprises dont les dépenses de gaz et d’électricité représentent au moins 3 % du chiffre d’affaires, un relèvement du plafond du PGE, un accès facilité aux reports de charges fiscales et sociales pour les entreprises affectées par les prix de l’énergie ou la perte d’exportations vers l’Ukraine ou la Russie, le prolongement du dispositif d'activité partielle de longue durée, ainsi qu’une aide financière exceptionnelle de 35 centimes par litre de gazole pour les pêcheurs. 
Si on n’est pas sur du « quoi qu’il en coûte », le coût des mesures est tout de même évalué à au moins 25 milliards d'euros.

BM : Quel rôle jouent la Russie et l’Ukraine sur les marchés de matières premières ? 

SEK : On le sait désormais, ces deux pays ont un rôle central sur de nombreux marchés de matières premières comme l’énergie, les métaux, les produits agricoles ou encore les semi-conducteurs. La Russie est notamment le premier fournisseur de gaz naturel de l’Union européenne avec près de 40 % des imports, et le deuxième exportateur mondial de pétrole.
Le déclenchement du conflit a ainsi entrainé une hausse du prix de certaines matières premières, en particulier de l’énergie. Les prix du gaz naturel, du pétrole, du blé, du palladium et du nickel ont fortement augmenté et ont surtout affiché une importante volatilité. Et même si la France est moins dépendante que certains de ses voisins de la Russie concernant les énergies, elle n’en reste pas moins importatrice de certaines matières premières industrielles essentielles, telles que le palladium ou le titane, ou encore de semi-conducteurs. L’élément rassurant, c’est que la France est peu dépendante des économies russe et ukrainienne au niveau global. 1,3 % des exportations françaises va en Russie et 0,3 % vers l’Ukraine. Et côté importations,1,6 % provient de Russie et 0,2 % d’Ukraine. 

BM : Et qu’en est-il du tourisme ?

SEK : Les recettes provenant des échanges de services avec la Russie sont plutôt faibles, le secteur du tourisme français apparaît donc peu exposé. Seulement 1,2 % des recettes proviennent des services de voyages liés à la Russie et en 2018, on dénombrait 900 000 touristes russes en France, soit 1 % du nombre total de touristes et 1,3 % des nuitées. 

“ Parmi les filières les plus exposées, on peut citer le secteur automobile ”

BM : Les entreprises françaises sont-elles très présentes en Ukraine et en Russie ?  

SEK : La présence de nos entreprises en Ukraine et en Russie est plutôt limitée, puisqu’on dénombre environ 700 filiales réparties sur les deux pays. La Russie et l’Ukraine comptaient respectivement 535 et 159 filiales en 2021, soit 2 % des filiales françaises à l’étranger. Au total, cela représente 235 000 emplois, soit 3,4 % du total des effectifs à l’étranger. 

Certains grands groupes restent malgré tout exposées aux conséquences du conflit via leurs activités en Russie. C’est le cas d’Avtovaz par exemple, une filiale de Renault, pour laquelle la Russie représente le deuxième marché. C’est également le cas de Total Energies, dont 17 % de la production de gaz s’effectue en Russie, et de Rosbank, une filiale de la Société Générale, dont l’activité dans le pays représente 2,8 % du produit net bancaire. 
En Russie, les investissements directs étrangers (IDE) représentent 1,8 % de nos stocks nets. Ils ont généré près de 2,7 milliards d’euros de revenus en 2019, soit 6,2 % des revenus issus des investissements directs français. Le stock net d’IDE en France ne représentait que 0,1 % du stock total, soit environ 550 millions d’euros en 2019.

BM : Coté échanges commerciaux et exportations, la France est-elle dépendante de ces deux pays ?

SEK : Pour certains produits, oui. 17 % des produits pétroliers importés par la France et 9 % des hydrocarbures naturels et autres produits des industries extractives proviennent de Russie et d’Ukraine, dont 33 % pour le charbon. 
 
Côté exportations françaises, les secteurs les plus exposés sont l’industrie aéronautique (4,5 % des exportations), ainsi que l’industrie chimique des parfums et cosmétiques (3,4 %). 

BM : Justement, quelles sont les filières les plus exposées ?

SEK : Parmi les filières les plus exposées, on peut tout d’abord citer l’automobile, notamment importatrice de palladium et d’aluminium pour la production des systèmes d’échappement, ainsi que de semi-conducteurs. Le secteur aéronautique est également exposé, via ses importations de titane, dont la moitié serait d’origine russe. Il en va de même pour la chimie qui est une grande utilisatrice de titane, et est surtout de gaz naturel. Ce dernier représente 22 % de ses consommations intermédiaires d’énergie et 3,4 % de sa valeur ajoutée. Les filières agricole et agroalimentaire, sont quant à elles touchées par la hausse des prix des produits agricoles, notamment utilisés pour nourrir le bétail.

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Mélanie Bruxer Rédactrice web