Et si les jeux vidéo d’action favorisaient notre capacité d’attention ?

Longtemps considéré comme dangereux pour la santé, le jeu vidéo d’action devient le nouveau terrain de jeu des chercheurs qui l’utilisent pour favoriser notre capacité d’attention. Daphné Bavelier, biologiste française spécialisée en neurosciences cognitives, nous partage le fruit de ces recherches sur ce sujet. 

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« Les jeux vidéo d'action ont des effets positifs sur la vision, la rotation mentale, l'attention et la capacité à passer d'une tâche à l'autre », affirme la spécialiste en neurosciences cognitives Daphné Bavelier. Aux Etats-Unis, à l'université de l'Illinois, la spécialiste travaille depuis près de 10 ans sur les bénéfices du jeu d’action sur un panel de sujets, qu’ils soient jeunes ou âgés. Des bénéfices probants qu’elle nous expose aujourd’hui.  

Big média : A quel moment avez-vous compris que le jeux vidéo pouvait aussi soigner ou prévenir certaines pathologies ?  

Daphné Bavelier : Vers le milieu des années 2000. Avec mes collègues, nous nous sommes aperçus que les jeux d’action avaient des effets positifs sur le contrôle attentionnel chez les jeunes (universitaires notamment), en pleine possession de leurs capacités. Très vite, nous nous sommes demandé si nous ne pouvions pas utiliser ce résultat à des fins éducatives et/ou médicales. 

BM : Qu’est-ce que le contrôle attentionnel ? 

DB : C’est la capacité d'une personne à choisir ce à quoi elle prête attention et ce qu'elle veut ignorer. Par exemple, il peut s’agir du temps de réactivité pour freiner lorsqu’on est au volant, la capacité de détecter à temps un objet qui pourrait nous percuter, mais c’est aussi l’aptitude au multitâche comme conduire dans une rue encombrée tout en tenant une conversation. En sommes, cela regroupe la capacité à faire attention à plusieurs objets à la fois, à changer de mode attentionnel de façon assez souple tout en gardant en « mémoire de travail » les autres buts et sous-buts que l’on exécute.  

BM : Vos recherches vous ont poussées à vous intéresser aux jeux d’action, mais avez-vous observé les mêmes effets avec des jeux plus ludiques tels que Candy Crush par exemple ? 

DB : Tous les jeux vidéo ne permettent pas de développer ce contrôle attentionnel. Au début de nos recherches nous nous sommes intéressés aux jeux vidéo dits « de tir », et depuis, nous avons identifié certaines classes de jeux vidéo, dotées de cette mécanique spécifique qui favorise l’augmentation attentionnelle. Il est donc très important de ne pas parler des jeux vidéo de manière générale mais plutôt des jeux vidéo d’action.   

 

Des effets positifs à long terme 

 

BM : Depuis quelques années, on voit fleurir sur nos téléphones bon nombre d’applications et jeux permettant d’améliorer notre attention ou notre mémoire. Qu’en pensez-vous ?  

DB : Il y a eu toutes sortes d’articles qui ont donné lieu à un peu de confusion au sujet des « brain games » [ou « jeux pour le cerveau » en français, NDLR]. Beaucoup de jeux dédiés au cerveau ont alors vu le jour, promettant d’améliorer les capacités d’attention d’enfants en difficulté scolaire ou de prévenir des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer. Des applications comme Candy Crush ont été téléchargées en masse alors qu’en définitive ce jeu, très prenant et relativement répétitif, n’offre pas les actions bénéfiques qu’on recherche pour augmenter l’attention. 

Récemment nous avons mené une étude auprès d’enfants âgés de 8 à 12 ans qui a démontré que jouer à ces jeux d’actions en moyenne 12 heures, échelonnées sur plusieurs semaines, permettait d’améliorer la lecture. Ces effets thérapeutiques se reflètent dans les notes environ un an à un an et demi après le début des entraînements. Il y a donc un effet boule de neige qui améliore peu à peu, et de façon durable, la capacité d’apprentissage.  

BM : Pour vous, les healthtech ont donc tout intérêt à proposer des jeux vidéo d’actions qui offrent une expérience divertissante, mais également intéressante du point de vue cognitif ? 

DB : Tout à fait ! Et c’est notamment pour cette raison que je me suis associée avec les professeurs Eddie Martucci, et Adam Gazzaley pour lancer Akili Interactive, une société qui développe des jeux vidéo basés sur le développement thérapeutique. Récemment, notre jeu Endeavor RX a été reconnu comme un traitement possible contre les troubles de l’attention aux États-Unis.  

Dans ce jeu, le joueur est chargé par un organisme de recherche extraterrestre de retrouver différents aliens situés dans une variété de mondes. Pour les capturer et les collecter, il doit s’engager dans une série de courses d’obstacles où une bonne concentration est fortement conseillée. Grâce à lui, nous avons pu démontrer qu'environ un tiers des enfants traités par ce "médicament 2.0" n'avait plus de déficit de l'attention. 

BM : Les futurs petits geek ont désormais une bonne excuse pour s’attarder devant leur session de Mario kart ? 

DB : Là encore il faut faire attention à ce qu’on lit et entend. Il y a un dosage optimal à observer pour que ces entraînements soient efficaces. Il est de l’ordre d’une demi-heure par jour pendant plusieurs semaines, mais sûrement pas 12 heures par jour ! C’est donc des pratiques de jeu très différentes de celles que peuvent avoir certains adolescents.   

BM : On associe souvent les jeux d’action aux jeux de guerre, très décriés pour leur violence. Comment avez-vous fait en sorte que votre création ne rentre pas dans ce schéma ? 

DB : Nos jeux vidéo excluent toute violence. C’est vrai qu’historiquement les jeux vidéo de tir sont souvent des jeux de guerre mais il y a d’autres jeux d’action tels que les courses de voitures qui offrent les mêmes stimulations cognitives sans la dimension de violence. D’ailleurs, cette dernière ne favorise aucunement la concentration, il n’y a donc pas d’intérêt à la développer dans nos jeux.  

 

Des jeux vidéo thérapeutiques pour séniors

 

BM : Ces jeux peuvent-ils également s’adresser à une cible plus âgée ?  

DB : Pour le moment non, mais c’est un des axes de développement que nous étudions. La clé dans tout jeu éducatif est de s’adapter à la personne qui apprend. C’est une faculté que permettent les jeux vidéo car ils disposent de plusieurs niveaux d’entrées. Par exemple, il n’est pas pertinent de proposer à une personne âgée de jouer à un jeu de tir comme ceux qui existent sur le marché car il sera trop difficile à prendre en main, étant conçu dans la majorité des cas pour des joueurs « moyens » voire aguerris.   

BM : Et surtout, ces jeux ne sont pas conçus pour des personnes qui ne sont pas des « digital native » … 

DB : Effectivement, et c’est d’ailleurs un point délicat et important à retenir. Même si les game designers font de plus en plus d’efforts pour que chacun puisse facilement prendre en main un jeu, la cible principale reste assez jeune. Mais il ne faut pas oublier que d’ici 15 ou 20 ans, les « geeks » des premières heures deviendront à leur tour des seniors, et contrairement à leurs aïeuls, ils n’auront aucune résistance à jouer aux jeux vidéo. Il y a donc un marché énorme en perspective. 

BM : Quels sont vos projets pour les mois et années à venir ? 

DB : Actuellement, nous nous intéressons à la plasticité cérébrale chez l’adulte. Le but est d’en comprendre les limites et d’arriver, par le biais des jeux vidéo, à la développer ou du moins la rendre plus malléable.   

Nos travaux nous ont aussi poussés à nous intéresser aux troubles émotionnels, nous allons donc proposer à des sujets déprimés ou anxieux des tests qui permettront d’augmenter leur contrôle attentionnel et donc permettre de réguler leurs ruminations.  

Et en parallèle nous sommes en train de développer des jeux vidéo permettant de rééduquer la vision chez de jeunes enfants malvoyants. Là encore nous nous intéresserons à la plasticité cérébrale pour comprendre comment on peut, de l’extérieur et sans médicament, travailler sur ce spectre.  

 

 

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Mélanie Bruxer Rédactrice web