Entreprendre dans les quartiers, état des lieux

La France compte 1 500 quartiers prioritaires de la ville. Autant d’espaces que soutient l’Etat à travers sa politique visant à compenser les écarts de niveau de vie avec le reste du territoire. Comment se porte l’entrepreneuriat dans ces quartiers et quels sont les avantages et difficultés que rencontrent les porteurs de projets ? Etat des lieux. 

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QPV état des lieux

1 296 quartiers prioritaires de la ville de plus de 10 000 habitants ont été recensés en France métropolitaine. D’après l’enquête nationale menée par l’Ifop pour le compte de l’Observatoire de la création d’entreprise de Bpifrance Création, en 2021, 20 % des habitants de ces quartiers sont entrepreneurs ou envisagent de le devenir. Un indice qui a progressé de 6 points depuis 2018. Mais, seulement 2 à 3 % se lancent véritablement dans la création d’entreprise. La situation dans les QPV est marquée par un fort intentionnisme mais un passage à l’acte peu fréquent.  

« Mon père cachait le fait qu’il ne savait pas écrire, et donc ça conditionne psychologiquement » 

Ce passage à l’acte moins fréquent s’explique en partie par un plus faible investissement de départ. A noter que les entreprises des QPV pérennes avec 4 à 5 ans d’existence ont débuté avec nettement moins de moyens que les entreprises du reste du territoire d’après l’étude menée par Bpifrance Le Lab, Terra Nova et JP Morgan, « Entreprendre dans les quartiers : libérer tous les potentiels ». L’accès aux banques y est également plus compliqué qu’ailleurs. Cette difficulté que rencontre un tiers des entrepreneurs des quartiers au moment de la création de leur entreprise repose sur trois aspects : ouvrir un compte bancaire professionnel, obtenir l’autorisation de découvert et obtenir un financement. Ces facteurs freinent nettement les ambitions des porteurs de projets des QPV. 

« Nous savons que dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville certains facteurs comme la fracture numérique, le décrochage scolaire ou l’éloignement du marché de l'emploi représentent des freins à la création de projets. », témoigne Anne-Claire Boux, adjointe à la politique de la ville auprès de la maire de Paris lors de la dernière étape de la tournée Entrepreneuriat Pour Tous à Paris. Mais ce qui retient les entrepreneurs des quartiers, c’est aussi leur estime de soi et leur confrontation aux stéréotypes négatifs qui perdurent sur les territoires dont ils sont issus. « Mon père cachait le fait qu’il ne savait pas écrire, et donc ça conditionne psychologiquement. Ça veut dire qu’il y a les autres, et puis nous. Et nous, on est pauvres. Ce n’est pas un sentiment de honte, parce qu’on n’a pas honte, mais c’est un sentiment d’illégitimité, en fait. Ce qui est totalement stupide, mais c’est comme ça. », confie le fondateur d’une agence de design à Montreuil dans le 93.  

Des entreprises avec autant “voire plus” de chance d’être pérennes  

Si les freins rencontrés par les entrepreneurs issus des QPV sont nombreux, l’étude du Lab révèle que les entreprises créées dans les quartiers prioritaires de la ville ont pourtant autant voire plus de chance d’être pérennes après trois ans. Les QPV enregistrent un taux de pérennité de 77 % à trois ans contre 74 % dans le reste du territoire en 2021. « Je suis profondément convaincue que les jeunes de nos quartiers ont le profil de l'entrepreneur. Dans nos quartiers, vous savez, il y a cette notion de risque qui est permanente. C'est pourquoi il y a souvent aussi une dynamique entrepreneuriale. Il y a aussi des idées, des projets. C'est là où les jeunes de nos quartiers innovent, sont créatifs pour avoir un projet économique qui leur permet d'être autonomes et indépendants financièrement », explique Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la Ville lors de l’étape parisienne de la tournée Entrepreneuriat Pour Tous. Les porteurs de projets des QPV bénéficient de trois ressources clés : la détermination, la connaissance approfondies des spécificités du marché local et la solidarité. Selon eux, ces ressources constituent un puissant avantage quant à la pérennisation de leur activité.  

Parallèlement les deux dernières ressources, connaissance du marché local et solidarité, cantonnent les entrepreneurs des quartiers dans leur territoire et constituent un frein à leur mobilité. De manière générale, la dynamique de création d’entreprises est plus faible dans les quartiers. Le taux de création par habitant y est bien inférieur à la moyenne nationale (1,7 % contre 2,1 % en France fin 2020) et les habitants y sont moins sensibilisés à l’entrepreneuriat. Les porteurs de projets dénoncent entre autres un problème d’accès à l’information et une certaine difficulté à se repérer dans les multiples structures existantes. 

Quelles aides pour les créateurs des QPV ? 

36 % des entrepreneurs des QPV déclarent avoir le sentiment qu’ils ont manqué de conseils et d’accompagnement dans la structuration de leur projet ou la création de leur entreprise, contre 22 % hors des quartiers. Et, si les entrepreneurs des QPV créent des entreprises aussi – voire plus – pérennes que les autres, et si le taux de création est inférieur, c’est que les créateurs sont plus résilients ! Un accompagnement financier et humain, poussé et précoce dans la structuration de leurs projets est donc nécessaire. Conscient de ces problématiques diverses, l’État s’est engagé à l’occasion du « Contrat de ville 2015 » à ce que les quartiers prioritaires de la politique de la ville soient davantage représentés dans les dispositifs d’aides publiques au niveau national. Aujourd’hui, diriger une entreprise implantée dans un QPV, permet, sous certaines conditions, de bénéficier de certains avantages fiscaux comme : l’exonération de la Contribution économique territoriale (CET) constituée de la Cotisation foncière entreprise (CFE) et de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), l’exonération de la Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), les emplois francs (aide de 15 000 € à l’embauche d’une personne issue d’un QPV pour un CDI ou 5 000 € pour un CDD de plus de 6 mois) 

En 2019, les pouvoirs publics investissent Bpifrance d’une mission : renforcer la dynamique entrepreneuriale des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le dispositif Entrepreneuriat Pour Tous a vu le jour afin de fédérer l’ensemble des acteurs de l’écosystème entrepreneurial engagés pour soutenir les porteurs de projets et créateurs de ces territoires. Ce programme vise à diffuser, auprès de ces derniers, les solutions de Bpifrance en matière de financement et d’accompagnement. Pour aller au plus près des entrepreneurs, Bpifrance a organisé une tournée à travers toute la France avec ses nombreux partenaires comme l’Adie, France Active, Les Déterminés, CitésLab, Positiv Planet et bien d’autres. La tournée 2021 s’est achevée à Paris le 14 décembre dernier. Revivez l’étape en images