Comment le festival We Love Green a-t-il aidé le monde du spectacle vivant à enclancher sa transition écologique ?

Au cœur des enjeux contemporains, la transition écologique impose aux différents secteurs économiques une évolution de leurs pratiques. Les industries culturelles et créatives n’échappent pas au phénomène et certains acteurs du secteur culturel montrent aujourd’hui la voie, à l’image du festival We Love Green. Rencontre avec Marie Sabot, directrice associée du festival.

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marie sabot
© Philippe Levy

Big média : La première édition du festival We Love Green s’est tenue il y a plus de dix ans. À l’époque, se préoccuper de l’impact environnemental d’un festival, c’était assez nouveau, non ?

Marie Sabot : J’ai la sensation qu’il y avait une grosse envie qui existait déjà dans certains festivals et le milieu de la musique électronique que je fréquentais. Cette scène-là était déjà très engagée à l’étranger. Nous avions déjà la sensation qu’il fallait trouver des solutions techniques, par exemple avec les premiers groupes électrogènes solaires ou à biocarburant. Il y avait déjà une envie assez forte de faire de la sensibilisation, de l’activisme sur le sujet.

Nous étions prêts à proposer en France quelque chose de nouveau. Il nous a fallu un peu de temps pour qu’on travaille avec nos équipes sur la manière de faire, nous avons expérimenté la première édition du festival en 2011 au Parc de Bagatelle. C’est un parc botanique fragile, ce qui était à l’image du propos que nous voulions porter sur l’univers écologique des festivals. Quand le festival a atteint une forme de maturité, c’est-à-dire avec environ 15 000 personnes, nous avons répondu à un appel à projets pour se déplacer dans le bois de Vincennes, un espace beaucoup plus grand mais tout aussi fragile. Nous avons expliqué comment nous voulions travailler en cohérence avec cette nouvelle démarche qui a convaincu et nous a permis d’organiser le festival que vous connaissez aujourd’hui et qui est unique en son genre. 

BM : En 15 ans d’existence, les défis et les difficultés auxquels vous vous êtes confrontés pour rester en cohérence avec le projet ont été nombreux. Qu’avez-vous appris en cours de route ?

MS : Nous avons grossi petit à petit, nous avons bâti notre succès pas à pas : c’était une manière de nous assurer que nous n’étions pas en train de dévier vis-à-vis de nos convictions originelles. Le sujet majeur était de développer une charte extrêmement précise sur la production de l’événement dans un souci du détail, ce que nous continuons à faire à mesure que le projet grandit. Et la hausse du nombre de festivaliers n’est pas synonyme de perte d’exigence.

Nous fixons un certain nombre de règles pour les artistes avec lesquels nous travaillons : nous demandons par exemple une réponse précise sur le moyen de transport utilisé, et nous leur délivrons une fiche technique pour expliquer comment nous allons les encadrer sur le festival pour que leurs prestations soient les moins énergivores possible. Nous limitons leur consommation énergétique en les informant de l’énergie dont ils disposeront cette année, qui diminuera l’année suivante. Nous avons aussi une charte des restaurateurs avec des producteurs à moins de 180 kilomètres de Paris, du bio, du végétal, de la viande issue d’abattoirs surveillés. C’est ça que nous avons appris en grossissant : à développer des critères précis, un sens du détail, une traçabilité et une transparence en phase avec nos engagements.

BM : Pensez-vous qu’une prise en compte collective de ces enjeux est amorcée dans le secteur du spectacle vivant, et par extension dans le secteur de la culture ?

MS : Oui, il y a une prise de conscience très forte même si nous manquons collectivement de solutions aujourd’hui. C’est un processus lourd et long, porté par le courage et la force d’entraînement de producteurs et d’artistes, qui reste particulièrement compliqué dans un secteur où l’on ne peut se substituer à l’envie des spectateurs. Or, nous faisons face à une contradiction aujourd’hui entre ces volontés de changement et une industrie en proie à un processus de starification des artistes, notamment porté par les réseaux sociaux et les algorithmes.

Nous observons aujourd’hui qu’il y a une dynamique de compétition dans laquelle les festivals se trouvent empêtrés, avec des artistes dont le prix a doublé ou quadruplé en quelques années. Faire venir Rosalia en 2019 nous coûtait 100 000 euros alors qu’aujourd’hui le coût serait d’un million. Il y a une forme de décrochage d’une certaine manière entre des projets qui vont devenir pharaoniques avec des budgets et des besoins gigantesques et une autre branche qui va se structurer autour d’une autre manière de voir les choses. À We Love Green, nous essayons de mener notre projet en échappant à cette logique du « toujours plus ». Nous sommes dans le même espace depuis 2017 et nous n’avons pas l’intention de nous étendre. Nous sommes plutôt dans une approche pluridisciplinaire, voire de décroissance dans le sens où nous avons par exemple fait le choix cette année de se limiter à un certain niveau de budget.

Révolution numérique, crise sanitaire, starification des artistes… L’économie de la culture a été plusieurs fois bouleversée depuis 20 ans. La transition écologique vient-elle encore compliquer l’équation ou offre-t-elle une nouvelle opportunité ?

MS : Il y a une volonté de produire de façon plus moderne, de changer nos pratiques avec la perspective écologique en ligne de mire. J’y travaille avec mes équipes qui sont dans cet état d’esprit et qui viennent montrer l’exemple dans la production de festivals. Il s’agit aujourd’hui de développer des réflexes dans notre manière de penser et de concevoir les événements, comme sur les éco cups par exemple, ou la billetterie dématérialisée. Il y a toujours des réticences de la part de producteurs et d’artistes qui ne savent pas par où commencer ou de certains publics qui ont l’impression que les actions mises en place sont des petits gestes. Ce qui compte en réalité, c’est d’adopter une approche globale jusque dans les détails les plus visibles. C’est en tout cas le chemin que nous essayons de tracer.

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