Associer son nom à sa marque ou à sa société, bonne ou mauvaise idée ?

Utiliser son patronyme pour sa marque ou sa société est monnaie courante dans le monde de l’entrepreneuriat. Smaïn Guennad, avocat au sein du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés, nous explique tout ce qu'il faut savoir, d'un point de vue juridique, lorsque l’on utilise son nom dans la vie des affaires.

  • Temps de lecture: 2-3 min
boutique chanel

« Le droit au nom est inaliénable, imprescriptible et propre à la personne. Il s’agit d’un attribut de la personnalité. », explique Smaïn Guennad, avocat au sein du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés à Paris. Lors de la création d'une entreprise, il arrive que son dirigeant exploite son nom à titre de marque ou de dénomination sociale (nom de la société qui va figurer dans les statuts et dans le Kbis1). C'est par exemple souvent le cas dans les milieux de la mode, avec les enseignes Dior, Chanel ou Yves Saint-Laurent qui portent les noms de leur créateur, ou encore de la gastronomie avec des marques comme Paul Bocuse, Alain Ducasse. L'avocat Smaïn Guennad répond aux questions du Big média sur l’utilisation du nom de famille dans le milieu entrepreneurial.

Big média : De nombreuses entreprises portent le nom de leur fondateur. Quels sont les pièges à éviter si l’on souhaite faire la même chose ?

Smaïn Guennad : La chose la plus importante à avoir en tête, c’est que la décision de choisir son nom patronymique à titre de marque ou de dénomination sociale pour l’exploiter à titre commercial, peut avoir des conséquences importantes. Le nom du fondateur devient alors un droit appartenant à la société que la personne physique peut ne plus maitriser par la suite, notamment en cas de cession de la société. Dans ce cas précis, le fondateur pourra se voir interdire d’utiliser son propre nom pour débuter une nouvelle activité.  

BM : Est-ce que les futurs chefs d’entreprise ont connaissance de ces enjeux ?

SG : Souvent, les jeunes entrepreneurs n'ont pas conscience de toutes les conséquences résultant du choix de leur nom patronymique pour exercer leur activité commerciale. Il y a eu de nombreux contentieux à ce sujet par le passé. Cela étant, le choix de la dénomination sociale est libre, sauf si elle porte atteinte à un droit antérieur, qui peut être notamment un nom porté par une société, une marque, un nom de domaine, voire un nom commercial ou une enseigne qui n’a pas qu’une portée locale. Ce principe étant similaire dans l’Union européenne, il faut donc aussi se renseigner à l’international si l’on souhaite développer une activité à l’étranger. On retrouve la même difficulté en ce qui concerne les dépôts de marques, puisque celles-ci ne doivent pas porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle antérieur.  

Penser à la recherche d’antériorité

BM : Si l’on utilise son nom, que doit-on faire pour le protéger et pour combien de temps le sera-t-il ?

SG : Si je veux lancer mon activité, l’exploitation de mon nom à titre commercial et sa protection se formalisent par la dénomination sociale (aux termes de la rédaction des statuts de la société et de l’obtention du Kbis y afférant, NDLR), un dépôt de marque et la réservation d’un nom de domaine, le cas échéant. Ces dépôts ou enregistrements sont libres, sous réserve des recherches d’antériorité pour s’assurer de l’absence d’atteinte à un droit antérieur pour une activité similaire.
A l’inverse, il n’est pas possible d’empêcher un tiers de déposer un signe distinctif similaire pour une autre activité, dès lors qu’il n’en découle aucun risque de confusion. Pour la dénomination sociale, la rédaction des statuts de l’entreprise permet une protection du nom tout au long de la vie de celle-ci. Pour la marque, il faut effectuer un renouvellement tous les dix ans, prendre soin de procéder effectivement à son exploitation et constituer au fur et à mesure un dossier de preuves et d’exploitation. 

BM : Lors d'une cession d'entreprise ou d’un changement de contrôle ou de gouvernance, y a-t-il un risque à conserver le nom du fondateur ?

SG : Lors d’un changement d’actionnaires ou de gouvernance d’une société qui a un nom et une dénomination sociale s’appuyant sur celui du fondateur, ce dernier ne peut pas s'opposer à la poursuite de l’exploitation de la dénomination sociale par la société. C’est une des conséquences auxquelles je faisais référence précédemment. L'arrêt Bordas de 1985 est souvent cité à ce sujet. Cette affaire illustre le fait que la dénomination sociale est conservée au bénéfice de la société, y compris en cas de changement d'actionnariat ou de gouvernance. L’accord consenti pour l’exploitation de son nom patronymique, aux termes de la signature des statuts et/ou du pacte d’actionnaires, ne peut être révoqué, sauf si cela est précisé dans ces documents à valeur contractuelle, ce qui est loin d’être systématique.    

1Document officiel attestant l'existence juridique d'une entreprise.