La décarbonation de l’aviation : entre urgence climatique et contraintes technologiques

Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, le secteur de l’aviation va devoir enclencher une transition rapide. Bpifrance prend position et fait le point sur les besoins de la filière pour assurer sa décarbonation. [Position Paper : Avion propre]

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Projet avion hydrogène airbus
Airbus ambitionne de développer le premier avion commercial zéro émission au monde d'ici 2035. ©Airbus

Souvent pointé du doigt pour ses émissions de CO2, le secteur de l’aviation ne représente qu’environ 2,6 % des émissions mondiales de carbone, soit un peu plus que le double des émissions annuelles de la France. Les liaisons internationales des avions longs courriers sont responsables de 60 % des émissions du secteur. Or à horizon 2050, si les actions de décarbonation déjà engagées ne sont pas renforcées, les émissions du secteur augmenteront de manière significative avec l’augmentation du trafic. L’Air Transport Action Group (ATAG), organisation indépendante qui regroupe compagnies aériennes, aéroports, industriels du secteur, s’attend en effet à un doublement des vols entre 2025 et 2050. 
Trois leviers seront nécessaires pour assurer la décarbonation du secteur : le déploiement massif des carburants d’aviation durable, la poursuite des améliorations technologiques des appareils, la mise en œuvre, coordonnée au niveau international, des réglementations et des infrastructures de décarbonation. 

65 % des émissions pourraient être réduites grâce aux carburants durable

Les carburants non fossiles représentent la principale source de décarbonation de l’aviation. Parmi ces carburants alternatifs, il faut distinguer les biocarburants (biokérosène) issus de résidus de biomasse ou déchets (huiles de cuisson usagées, déchets des filières agricoles, graisses animales) et les carburants de synthèse, tels que les electrofuels (« e-carburants » ou « synthetic fuels ») issus de procédés permettant de convertir le CO2 en carburant (éthanol). 

Déjà utilisés par l’aviation civile commerciale, les biokérosènes font l’objet de mesures d’incitations règlementaires avec des taux d’incorporation progressifs. En France, celui-ci passera de 1 % en 2022 à 5 % en 2030 et 50 % en 2050. La nouvelle réglementation européenne ReFuelEU pourrait porter ce taux à 100 % en 2050.
De leur côté, les e-fuels sont encore en cours de développement et leur commercialisation n’est pas attendue avant 2030. En France, 200 millions d’euros ont d’ailleurs été fléchés en 2021 dans le cadre « France 2030 » pour stimuler la recherche et le développement de ces technologies.
Jusqu’à 65 % des émissions prévues en 2050 pourraient être réduites grâce à l’emploi massif de ces carburants alternatifs. 

Sécuriser la production des carburants durables pour répondre à la demande mondiale

Actuellement, les volumes produits de biokérosènes sont loin de pouvoir satisfaire les besoins à venir de l’industrie aéronautique. Selon l’International Civil Aviation Organization (ICAO) 6,5 millions de litres ont été produits en 2018. A titre de comparaison, la consommation de kérosène en 2021 était de 228 milliards de litres ! 
Plusieurs accords d’achat long terme ont déjà été passés sur les dix prochaines années, pour accroître la production annuelle de biokérosène, qui pourrait atteindre 6,8 milliards de litres en 2025 puis 8 milliards de litres, selon l’ICAO. Des objectifs ambitieux qui demanderont un développement massif de la filière pour répondre à cette demande. Pour les tenir, l’ATAG estime entre 5 000 et 7 000 unités le besoin en nouvelles raffineries, dont environ 1 200 en Europe. Il s’agirait d’usines aux capacités de production inférieures aux raffineries actuelles et plus près des centres de production de la biomasse.

Les coûts de production de ces biokérosènes constituent un deuxième obstacle à leur développement. Selon la technologie de production employée, ils peuvent coûter entre trois et huit fois plus chers que le kérosène classique. 

A ces freins s’ajoute la concurrence, à court terme, entre plusieurs types de transports pour accaparer la biomasse, déjà limitée. Rien qu’en se limitant au secteur des transports, celle-ci est employée pour la production d’autres types de carburants, notamment pour le transport routier, déjà grand consommateur de biodiesel.

Un premier avion commercial zéro émission pour 2035 ?

Pour assurer sa décarbonation, le secteur de l’aviation civile commerciale doit également poursuivre ses efforts en matière d’amélioration des appareils et des opérations. 
Avec des avions court-moyens courriers plus légers et le remplacement des flottes par les modèles les plus récents, la consommation de carburant pourrait déjà être réduite en capitalisant sur les efforts précédents d’amélioration de la performance. 

La poursuite des efforts de recherche de moteurs plus performants, ou utilisant d’autres sources d’énergie comme la pile à combustible ou l’hydrogène par combustion directe, sera aussi indispensable pour faire arriver à maturité des technologies qui, pour le moment, restent encore très incertaines. 

Dans le cas des piles à combustible, comme sur certains modèles de voiture, l’hydrogène est utilisé pour créer de l’électricité qui alimente le moteur. Pour les avions, les piles doivent néanmoins être repensées, car leur poids et leur volume sont actuellement trop importants pour permettre de transporter des passagers tout en préservant des niveaux élevés d’efficacité (mesurée par le combustible utilisé par passager). 
Dans le cas de l’utilisation de la combustion directe, l’hydrogène est « brûlé » directement lors de la propulsion. Cette technologie, déjà utilisée par les fusées spatiales, présente la difficulté de stocker et transporter de volumes importants d’hydrogène sous forme liquide à des températures très basses (-253°C), mais aussi des défis d’adaptation des moteurs.
Airbus a déjà dévoilé travailler sur trois concepts d’avions utilisant ces technologies avec pour objectif de développer le premier avion commercial à émissions zéro pour 2035. Le concept de moteur à combustion directe d’hydrogène sera développé par une Joint-Venture entre le français Safran Aircraft Engines et l’américain GE Aviation. 

Au niveau des infrastructures, des projets de faisabilité sont en cours afin d’étudier et tester l’utilisation de l’hydrogène sur site. En France, Airbus travaille notamment dans ce cadre en partenariat avec Vinci et Air Liquide sur les Aéroports de Paris et de Lyon Saint- Exupéry

Enfin, les améliorations opérationnelles, comme une meilleure gestion du trafic, l’optimisation des trajectoires et la décarbonation des opérations au sol (électrification notamment) permettraient de diminuer les émissions de CO2 entre 3 % et 10 % à horizon 2050. Toutes ces améliorations, couplées à l’utilisation de carburants d’aviation durable, permettraient, dans certains scénarios, de diminuer l’impact carbone du secteur de 80 %.

Renforcer l’engagement du secteur de l’aviation au niveau mondial

Cependant, la décarbonation de la filière ne pourra se faire sans la coordination des efforts au niveau mondial. 
Si depuis de nombreuses années, les acteurs du secteur sont engagés dans des projets d’amélioration des performances environnementales des appareils ou dans des mécanismes de compensation, les efforts, tant individuels que collectifs, devront être amplifiés. Avec le paquet de mesures adoptées en 2021 par la Commission européenne dans le cadre du Green Deal, les compagnies aériennes et le secteur devront contribuer à l’objectif de neutralité des émissions en 2050. Au niveau international, les membres de l’organisation IATA (Association internationale du transport aérien) se sont aussi engagés en octobre 2021 à devenir neutres en émissions de carbone à horizon 2050 et une déclaration reprenant le même engagement a été signée à Toulouse, au sommet de l’aviation en février 2022. 

Malheureusement, ces déclarations ne sont pas toujours suivies de réglementations et incitations au niveau de chaque pays signataire, ou bien elles diffèrent tant sur les moyens que les objectifs. Or, pour utiliser massivement les carburants alternatifs, il faudra déployer la logistique de production et distribution non seulement en France, mais dans plusieurs pays et dans les hubs de l’aviation civile commerciale. Sans objectifs d’incorporation des carburants alternatifs harmonisés à l’échelle mondiale, le risque est non seulement de défavoriser certaines régions qui auraient des réglementations plus contraignantes, mais aussi de ne pas donner un signal clair à toute la filière. 

Pour aller plus loin, téléchargez le Position Paper « Quels leviers pour la décarbonation de l’aviation civile commerciale ? » de la série "Les Experts de demain".

[1] The Shift Projet, Préparer l’avenir de l’aviation, Synthèse, mai 2020.

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